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  • L'esigenza d'attualità della mitanalisi
    A cura di Hervé Fischer - Ana Maria Peçanha - Orazio Maria Valastro

    M@gm@ vol.16 n.2 Maggio-Agosto 2018

    Atti del convegno In cerca di mitanalisi
    Convegno internazionale di studi sulla teoria mitanalitica
    23 Ottobre 2017 - Università Paris Descartes



    MYTHANALYSE DE LA MONDIALISATION

    Hervé Fischer

    hfischer@hervefischer.net
    Artiste-philosophe multimédia, de nationalité française et canadienne, Hervé Fischer a initié l'art sociologique au début des années 1970, et pratique aujourd'hui le tweet art et la tweet philosophie. Son travail a été présenté dans de nombreux musées internationaux et biennales. Le Centre Georges Pompidou lui a consacré une rétrospective Hervé Fischer et l'art sociologique en 2017. Pionnier du numérique au Québec, où il a fondé en 1985 la Cité des arts et des nouvelles technologies de Montréal (expositions Images du futur), le premier Café électronique au Canada, le Marché international du multimédia, la Fédération internationale des associations de multimédia, le Festival Téléscience, Science pour tous. Ses recherches portent sur l'art, la sociologie des couleurs, le numérique, les imaginaires sociaux, l'hyperhumanisme. Il a conçu le Medialab québécois Hexagram. Il a publié une vingtaine de livres, dont Théorie de l'art sociologique, L'Histoire de l'art est terminée (1981), Le choc du numérique (2002), CyberProméthée, l'instinct de puissance (2003), La planète hyper, de la pensée linéaire à la pensée en arabesque (2004), La société sur le divan (2007), L'Avenir de l'art (2010), La pensée magique du Net(2014), La divergence du futur (2014), Market Art (2016). Il a fondé la Société internationale de mythanalyse.


    Atelier esperienziale Immaginare per comprendere il mondo
    L’esperienza dell’erranza vissuta nella creatività autobiografica
    Disegno: Rachele La Rosa - Liceo Artistico Statale Emilio Greco
    Ateliers dell'immaginario autobiografico © OdV Le Stelle in Tasca

    Maxime Gorki écrit vers 1901 : « La littérature est le miroir vivant de l’être, le moyen le plus immédiat et le plus parfait pour les peuples, de se connaître et de faire l’apprentissage du respect mutuel » [1]. Et Anatole France qualifie en 1905 Gorki d’ « écrivain appartenant au monde entier». Son engagement révolutionnaire marquant, contrecarré par son souci de défendre la liberté de penser malgré la pression bolchevique et de Lénine lui-même, puis son panégyrique de la politique de Staline, qui lui ont valu une ambiguïté politique difficile à nier, pourraient paraître emblématiques du thème de la mondialisation tel que nous pouvons en discuter aujourd’hui. À l’époque le communisme rêvait de mondialisation. Aujourd’hui, cet idéal intellectuel d’Anatole France semble plutôt être devenu le rêve du capitalisme en quête de marchés planétaires, les holdings de Hollywood ou les transnationales de produits cosmétiques qui travaillent à l’instaurer et la légitimer idéologiquement.  Et ce rêve suscite la résistance de ceux qui accusent cette mondialisation capitaliste d’exploitation de la planète, éventuellement sous sa forme la plus darwinienne ou sauvage : la loi du plus fort. La mondialisation se présente à nous avec les deux faces opposées du dieu Janus.

     

    Max Weber aurait identifié, avec sa retenue épistémologique de sociologue, la mondialisation comme un « idéaltype » qui s’actualise en se conjuguant avec celui du néo-libéralisme. Mais cette approche nous paraît très insuffisante pour en rendre compte, car l’idée n’est pas nouvelle ; elle a perduré avec une force cosmique en se déclinant très diversement selon les époques et les sociétés. Elle a toutes les caractéristiques puissantes et dramatiques d’un mythe.

     

    Le mythe de la mondialisation

     

    Aujourd’hui, la mondialisation semble dominer notre planète en s’identifiant à elle comme un pléonasme exposant son unité et sa totalité. Nous avons conscience que la mondialisation est beaucoup plus qu’un « idéaltype » que nous construisons, ou « un tableau de pensée homogène » comme aurait dit Max Weber, pour rendre compte d’une situation et faciliter notre analyse. Un tableau n’est pas en soi une force, mais seulement une description. Max Weber était un sociologue prudent. D’autres sociologues ou épistémologues parlent plutôt, en croyant aussi à leur prudence méthodologique, de « concept opératoire ». Techniquement ce terme désigne un mode opératoire méthodiquement ordonné, par exemple en électrolyse ou pour couper une jambe. Mais dans le langage courant comme dans les textes sociologiques, nous associons irrationnellement une force agissante au concept. Les métaphores des mots-images, celles mêmes des sciences humaines, au-delà des statistiques, mettent en scène l’imaginaire. La mondialisation se répand, elle conquiert des consciences, des marchés, elle crée de l’espoir ou elle fait peur. Se pose alors cette question incontournable : quelle est cette force qui l’anime ? Est-ce une force physique comme la gravitation ? La force économique du plus fort ? Elle évoque plutôt la force psychique d’une représentation de notre rapport au monde. S’agit-il comme dans le magnétisme d’une force d’attraction ? D’un désir d’union cosmique ? Couplé avec une force de répulsion ? La peur de l’autre ? Dans tous les cas, nous en parlons comme d’un acteur puissant, bénéfique ou redoutable. Pour le connaître, il faut donc tenter d’en raconter l’histoire, ou dit plus justement, les histoires, les récits qui ont construit cet imaginaire.

     

    Dans les sociétés qu’on appelle aujourd’hui « premières », les ethnologues nous parlent d’une unité du cosmos qui caractériserait leur rapport au monde. Cette conscience était évidemment locale et différente pour chaque groupe, mais selon les ethnologues chaque communauté humaine se situait au centre du monde, au centre des quatre points cardinaux, du zénith et du nadir, entre le ciel et les forces chtoniennes. Ainsi les Chinois de l’Empire du milieu considéraient que les autres populations vivaient sur leurs marges.

     

    Dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’Antiquité, la plupart des Anciens pensaient de même que la Terre, s’ils en envisageaient l’étendue immense, était le centre du monde et que les astres tournaient autour d’elle. L’Homme lui-même – du moins le citoyen - était la mesure de toute chose.  Nous étions toujours dans une représentation unitaire et centrée de l’univers. Les cultes du Soleil, du Serpent, des dieux polythéistes et des dieux monothéistes qui émergèrent successivement célébraient ces êtres originels comme des clés de voûte de leurs cosmologies. Les hérésies de Galilée et de Copernic décentrèrent la Terre, mais pas l’Homme, pas le croyant dans son face-à-face avec son dieu créateur. Autrement dit, l’idée d’unité de la Terre et du Cosmos a dominé les civilisations pendant des millénaires, qu’elle soit pensée à une échelle locale ou globale.

     

    Pour autant, l’idée d’une unité de l’humanité était étrangère à toutes ces civilisations qui fondaient leurs dominations sur la diversité des races humaines et des hiérarchies sociales. Les tribus et les clans se combattaient, les citoyens se distinguaient des esclaves, les croyants des païens, les puissants des serfs, les conquérants des indigènes, les blancs des noirs et des jaunes. La conscience d’une unité humaine qui nous est familière aujourd’hui était ce qui faisait le plus défaut : elle n’existait tout simplement pas. Nous étions sous le règne des différences, des conflits, des conquêtes et des soumissions souvent violentes.

     

    Dans un double mouvement paradoxal de la conscience humaine chaque groupe social croyait à l’unité de son cosmos tout autant qu’à la diversité des autres groupes humains. C’est même au nom au nom de ces différentes cosmogonies que se sont succédés les incessants conflits qui rythment l’histoire. Chaque société a tenté les armes à la main d’imposer sa vision du monde et sa domination aux autres, qu’elle soit grecque, romaine, islamique, catholique, inca, impérialiste, colonialiste ou communiste. Mêmes les grandes guerres du XXe siècle furent déclarées « mondiales ». Pourtant, aujourd’hui, depuis la chute du communisme, nous croyons, nous les Occidentaux, assister à une mondialisation capitaliste et occidentale de la planète, selon une logique universelle, économique et culturelle, même en Inde, en Afrique et en Chine, malgré l’émergence de forces politiques multipolaires. Les mythes sont des imaginaires partagés par un groupe social ou une civilisation. Nous découvrons ainsi que la croyance dans la mondialisation nous renvoie au vieux mythe de l’unité cosmique qui perdure en se transformant.

     


    Hervé Fischer con Ana Maria Peçanha e Orazio Maria Valastro
    In cerca di mitanalisi
    Convegno internazionale di studi sulla teoria mitanalitica
    23 Ottobre 2017 - Università Paris Descartes

    L’imaginaire occidental

     

    Il y a ceux qui croient à la mondialisation et ceux qui s’y opposent. L’évocation de la mondialisation, comme dans la plupart de nos mythes grecs, met en branle des forces opposées, le désir d’unité et le désir de singularité ou d’unicité, qui se déclinent à nous aujourd’hui sous les idées contradictoires de mondialisation et de diversité culturelle. Ce sont les deux pôles de notre conscience sous tension entre l’idée d’appartenance à l’humanité planétaire et celle de la singularité de notre groupe ou même de chacun de nous. Monde ou monade : il faut choisir. La mondialisation tout comme la diversité culturelle se présentent à nous comme deux irréels inaccessibles, deux fabulations contradictoires, deux désirs, deux volontés opposées.

     

    La mondialisation nous paraît éventuellement moins démontrable que la diversité dont nous avons tous en mémoire la réalité conflictuelle et les terribles souffrances qu’elle a engendrées tout au long de notre histoire. La mondialisation se présente plutôt à nous comme un héritage de nos croyances religieuses traditionnelles ou comme l’émergence d’une nouvelle étape de notre conscience, cette fois laïque, que nous espérons construire plus équitablement ou dont nous dénonçons les effets pervers déjà évidents. Ces enjeux, le mondialiste et l’identitaire, donnent donc lieu à de multiples débats politiques, économiques et culturels. Populismes et fédéralismes s’opposent en Europe. La dialectique est vive entre la Catalogne et l’Espagne, ou entre l’Écosse et la Grande-Bretagne et l’Europe dans les deux cas. Le Brexit a été l’objet d’un referendum déchirant. Les flux d’immigrants font peur aux uns, suscitent l’empathie des autres. Le multiculturalisme est diversement interprété, comme un progrès majeur ou comme une erreur fatale au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France. Le débat sur les signes extérieurs religieux ne semble pas prêt de se conclure au Québec. Dans tous les cas, les partisans des deux bords avancent des justifications vigoureuses. Les imaginaires sont plus déterminants que les chiffres. Ces débats bipolaires opposent manifestement deux mythes fondamentaux, celui de l’unité et celui de la singularité. De l’unité, de la mondialisation on espère l’harmonie universelle, un dialogue productif, la paix, la sécurité, la puissance, la prospérité, bref un bonheur mythique dont nous avons la nostalgie dans ce monde conflictuel. De la singularité dans la diversité on espère moins de soumission, moins de solitude et plus de solidarité, une liberté individuelle plus créatrice, une connivence identitaire à une échelle plus humaine, un désir tout aussi irréel d’accomplissement. Dans nos sociétés contemporaines, on observe la même tension entre la puissance de la masse et la résistance de l’individualisme, le désir d’intégration et la peur de l’uniformisation.

     

    Nous négocions notre rapport au monde 

     

    Je voudrais introduire ici le concept de négociation, qui me paraît fondamental en mythanalyse. Entre ces deux désirs opposés, entre lesquels nous hésitons, entre ces deux nostalgies, celle de la mondialisation et celle de la singularité, comment nous situer ? Un équilibre est-il possible ?

     

    L’unité est-elle un leurre ? Une perte d’autonomie, une résignation, car elle sera inévitablement dominée par le plus fort ? La solitude n’est-elle pas une souffrance, la solidarité, au contraire, un bien-être ? Et la mondialisation une contrainte bénéfique ? Toute idée de totalité n’inclut-elle pas la possibilité d’un totalitarisme ? Mais la conscience planétaire, que j’appelle la « conscience augmentée » n’est-elle pas la condition d’une éthique mondiale ? D’un plus grand respect des droits universels de l’Homme ?

     

    La singularité est-elle une illusion ? L’autonomie identitaire de l’individu dans la masse, celle d’un pays dans une fédération, celle d’un écrivain dans une culture sont-elles des mirages ? Tout rétrécissement de l’horizon n’est-il pas un enfermement ? Le risque d’un folklore obsolète dans la marche du temps ? La singularité est-elle l’illusion bourgeoise dénoncée par les marxistes ? Devrions-nous éliminer cette vanité inutile dont se passent les sociétés indivises africaines, ou collectivistes comme en Chine ? Ne serions-nous pas alors plus heureux ?

     

    Que répondre à de telles questions, comment évaluer ces fabulations contradictoires qu’on tente de célébrer, de nier ou d’hybrider ? Laquelle nous sera la plus bénéfique, à chacun comme à tous ? Laquelle nous sera fatale ? Les mythes ne se valent pas. Parfois difficiles à évaluer, les uns sont bénéfiques, les autres sont toxiques.

     

    Lorsque l’automobiliste voit devant lui le feu vert passer au rouge, il ne tergiverse pas. Mais notre rapport au monde est rarement aussi binaire. Dans les choix complexes qui mettent en jeu des valeurs fondamentales, qui suscitent des désirs et des peurs, donc de l’imaginaire, nous soupesons les avantages et les inconvénients prévisibles. Nous tergiversons.

     

    En d’autres termes, nous sommes confrontés constamment à la nécessité de négocier notre rapport au monde, pour en obtenir ce que nous croyons être le meilleur, mais qui n’est pas assuré. Face à des enjeux existentiels incertains, ce n’est pas avec des interlocuteurs, mais toujours directement avec l’imaginaire, avec les mythes que nous négocions.

     

    La conception biologique de la mythanalyse

     

    La mythanalyse postule que tout ce qui est réel est fabulatoire, tout ce qui est fabulatoire est réel, mais il faut savoir choisir ses fabulations et éviter les hallucinations. Nous naissons homo fabulator et que nous demeurons homo fabulator toute notre vie.

     

    La mythanalyse postule que notre rapport au monde est toujours mythique. Il n’y a rien dans ce monde qui ne soit mythique, dont notre connaissance puisse prétendre à l’objectivité en court-circuitant les filtres inconscients de nos interprétations. La mythanalyse affirme être elle-même une théorie-fiction.

     

    La mythanalyse, telle que je la construis, postule une origine biologique du développement de nos facultés fabulatoires [2].

     

    Depuis le moment où l’enfant quitte la poche utérine qui lui assurait la protection de son rapport unitaire à la mère, dès lorsqu’il est accouché et que le monde naît à lui, il doit affronter le stade du chaos.

     

    C’est sans mots (in-fans) qu’il apprend à négocier son rapport au réel. Il ne dispose pour l’interpréter que de son imagination, de ses émotions et de ses sensations physiologiques. Il est pris immédiatement dans l’entrelacs et la dynamique du carré parental.

     

    Ces représentations évoluent selon les étapes de son développement fabulatoire. C’est ainsi qu’il ressent d’abord son impuissance et sa soumission au corps social (le stade de la tortue sur le dos). Puis il découvre son individuation en apprenant à distinguer son corps de son univers proche (le stade de l’ourson). Au bout d’un an, il commence à l’explorer plus largement et à l’objectiver avec des mots (le stade du pingouin), avant de déclarer sa singularité en s’opposant au monde (le stade du homard). Au stade du papillon, il fait sa mue  et butine jusqu’à ce qu’il rejoigne l’essaim social du stade adulte. Puis il vieillit et accède à la « conscience augmentée », planétaire, en temps réel, qui exige une éthique planétaire. Il pense à la mort, mais joyeux de vivre et sans crainte. Ces quelques vingt années de négociation de son rapport imaginaire au monde lui ont appris à se soumettre, explorer, se singulariser, s’adapter, s’opposer, puis s’intégrer au Grand Tout. Ces étapes de la construction de son rapport au monde demeureront inscrites dans les réseaux neuronaux de sa mémoire et dans sa logique inconsciente.

     

    Des aléas, des bons et des mauvais moments de ces expériences, des traumatismes et des liens heureux qu’il aura tissés imaginairement avec le monde dépendront ses attitudes individuelles pour toute la durée de sa vie d’adulte. Il célébrera le dialogue social, interculturel, planétaire, ou revendiquera sa singularité irrépressible et sacrée ou s’accommodera diversement des contraintes et opportunités de la réalité. Tous les êtres humains vivent la même genèse biologique/fabulatoire. Je pense à un artiste québécois, Denys Tremblay, qui s’est fait élire par référendum municipal tout à fait légal Denys Premier, roi de l’Anse Saint-Jean en 1997 et auquel j’ai consacré un livre. Suite à cette genèse fabulatoire, les uns seront identitaires, les autres fédéralistes. Les uns demeureront communautaristes ou multiculturalistes, les autres rêveront de mondialisation, d’éthique planétaire. D’autres mêleront des positions contradictoires. Les uns seront pacifistes jusqu’à l’erreur, les autres querelleux jusqu’à prendre les armes. Et la mémoire inconsciente de leur développement fabulatoire déterminera leurs rapports familiaux tout autant que leurs engagements citoyens, de même que leurs œuvres artistiques, scientifiques, philosophiques ou littéraires sans en réduire l’inspiration, tout au contraire. Comme en témoigne la célébrité de Maxime Gorki.

     

    La dimension sociologique de la mythanalyse 

     

    Je l’ai dit : la mythanalyse, telle que je la conçois, postule une origine biologique du développement de nos facultés fabulatoires. Mais les mythes ne flottent pas dans un arrière-monde archaïque, anhistorique et asociologique, comme ont pu le prétendre trop d’auteurs reconnus. Nos fabulations s’expriment diversement selon chaque société et chaque époque. Je tiens donc à souligner le caractère sociologique autant que biologique de la mythanalyse. On ne peut certes pas allonger la société sur le divan [3]. Pourtant la mythanalyse analyse l’histoire d’un groupe social comme la psychanalyse analyse la biographie d’un patient. Histoire collective et biographie singulière comportent toutes deux leur part connue, voire revendiquée, et leur part inconsciente qui est liée à des traumatismes, frustrations, événements marquants refoulés ou accomplissements structurants. La méthode psychanalytique s’applique donc aussi jusqu’à un certain point à l’analyse d’un groupe social [4]. L’histoire et la culture d’une société nous en disent beaucoup sur son inconscient collectif. Nos prises de position en faveur de la mondialisation ou de la diversité s’accompagnent pour chacun de nous d’un cortège d’émotions, de nostalgies ou d’espoirs, de frustrations ou de désirs qui assurent nos convictions. La mythanalyse le souligne : les émotions signalent toujours la présence du mythe dans nos idées.

     

    En outre, la biographie de l’individu s’inscrit dans l’histoire de son groupe d’appartenance qui résonne et raisonne en lui, en accord ou en dissonance. Ainsi, Nietzsche dénonçait l’humanisme petit-bourgeois allemand au nom du Surhomme. Durkheim affirmait que la Société est davantage que la somme de ses membres et expliquait l’anomie du suicide en opposant la supériorité de la solidarité organique à la faiblesse de la solidarité mécanique. Jean Jaurès le pacifiste magnifique fut assassiné par le méchant Raoul Villain. Le résistant français Jean Moulin fut torturé par les conquérants nazis de la planète. Ce qui légitime la mythanalyse, cependant, ce n’est pas l’étude de l’histoire et des mythologies, mais son exigence d’actualité.

     

    Le monde d’aujourd’hui  

     

    L’histoire tragique du XXe siècle, dont nous subissons encore les effets, nous a incités à créer la Société des Nations lors du Traité de Versailles après la Première Guerre mondiale, puis l’Organisation des Nations Unies après la Seconde. Nous avons multiplié les institutions internationales dans tous les domaines d’activité humaine, fondé des fédérations et des confédérations, institué des congrès internationaux, créé des organisations humanitaires mondiales. La chute du communisme conquérant a cédé la place à un capitalisme néolibéral avide de marchés mondiaux. Cela vaut non seulement pour la politique et pour l’économie, mais aussi pour l’écologie.

     

    La prise de conscience de l’interdépendance des équilibres écologiques a fortement contribué à développer une vision mondiale de nos responsabilités en matière de pollution, et des engagements partagés pour limiter les bouleversements climatiques. Des solidarités éthiques émergent face aux catastrophes naturelles, aux guerres, aux flux migratoires et aux souffrances qui les accompagnent. La puissance nouvelle des technologies de communication et le tourisme populaire réduisent les dimensions de la planète et nous permettent de mieux comprendre et respecter les autres. Rares sont encore ceux qui se déclarent citoyens du monde, mais nous observons le développement incontestable d’une conscience planétaire, que j’appelle « augmentée ».

     

    Cette tendance suscite son contraire, une critique grandissante d’une mondialisation jugée galopante qui menacerait d’affaiblir la diversité culturelle, dont on compare l’importance et la fragilité à celle de la diversité biologique. Des réflexes nationaux se réactivent. On célèbre la formule du Small Is Beautifull.  La dialectique du mondial et du local brouille le « glocal », une conception qu’on avait inventée pour le marketing, puis voulu généraliser à l’urbanisme voire à l’éducation à distance. Le souffle mythique du planétaire soulève des tempêtes identitaires. Les deux mythes de l’unité et de l’unicité s’opposent puissamment dans nos inconscients collectifs comme des rapports de force centripètes et centrifuges incapables de s’équilibrer. Les liens entre nos rêves et les réalités se tissent ou se brisent collectivement comme dans la genèse biologique individuelle de nos facultés fabulatoires. Bien sûr, nos biographies singulières et l’histoire de nos sociétés ne sauraient être comparées en évoquant des naissances ou des maturités, mais seulement en termes d’union et d’unicité dont la genèse biologique demeure active dans nos mémoires inconscientes individuelles et qui sous-tendent l’imaginaire de nos représentations collectives.

     

    Peut-on parler aujourd’hui de mondialisation culturelle ?

     

    Faut-il croire à La République mondiale des Lettres ?  Pascale Casanova, l’auteure du livre auquel elle donne ce titre, affirme : « Quoiqu’en dise la légende dorée de la littérature, il existe une invisible et puissante fabrique de l’universel littéraire », mais c’est pour en dénoncer immédiatement l’inégalité, « un territoire où les plus démunis littérairement sont soumis à une violence invisible ». Peut-on quand même en rêver ? Allons-nous découvrir ou inventer après la cuisine internationale une esthétique littéraire mondialiste ? Des thématiques mondialement partagées ? Ou s’agit-il seulement de circuits de distribution et d’un réseau actif et solidaire d’écrivains ? 145 pays ont signé la Déclaration de l’UNESCO de 2001 sur la diversité culturelle, reconnaissant de facto la puissance de la mondialisation et la nécessité de résister à ses excès. Mais l’UNESCO n’a pas été politiquement en mesure d’y inclure la diversité linguistique, toute aussi importante. Serons-nous capables de préserver un relatif équilibre ?

     

    Les uns célèbrent un nouveau mondialisme culturel et affinent des variantes en soulignant l’universalisme du subjectif et des localismes littéraires, tandis que les autres dénoncent les impérialismes culturels. Je propose d’actualiser en termes inversés et positifs le mythe biblique négatif de la Tour de Babel. Il racontait la punition divine, puisque Dieu mit fin à la langue universelle adamique et imposa la diversité des langues, pour empêcher les hommes de communiquer entre eux, mettant ainsi fin à la construction de cette tour arrogante. Mais j’y vois aujourd’hui tout au contraire le mythe premier de la société de l’information et la fondation de la diversité des langues et des cultures.

     

    Comment parler alors aujourd’hui de la mondialisation culturelle ? Est-ce celle du blue-jean, du jazz, de Hollywood, de Macdonald, de Coca-Cola et de Facebook ? Ou est-ce celle des Prix Nobel ? De la Banque mondiale ou des échanges scientifiques, de Médecins ou Reporters sans frontières, de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge, et de l’exploration spatiale ?

     

    C’était celle des colonialismes et des exotismes culturels tant célébrés depuis le XIXe siècle. Serait-ce aujourd’hui celle de la fin des colonialismes et des exotismes ? Serait-ce le cosmopolitisme de Diogène de Sinope, un philosophe cynique de la Grèce antique qui croyait à la possibilité d’avoir des racines locales et d’accéder à une pensée universelle ? Serait-ce celui des Lumières, des Droits universels de l’Homme, d’Emmanuel Kant et du droit universel ? Serait-ce celui des diasporas ou des artistes et écrivains exilés à New York pour échapper au nazisme ? Serait-ce celui d’une occidentalisation de la planète qui s’imposerait insidieusement ou positivement en Afrique, en Inde, en Chine, au Japon ? Celui d’un métissage culturel progressif ? Celui de juxtapositions multiculturelles pacifiques ? Doit-on envisager une multipolarisation qui s’équilibre ? Célébrer un dialogue interculturel mondial, comme celui des expositions Paris New York, Paris Moscou, Paris Berlin lors de la fondation du Centre Pompidou? (Bien sûr, il y eut aussi Paris, car ce dialogue n’est jamais neutre, toujours centré.)

     

    Ou faut-il au nom de la diversité culturelle nous résigner à des communautarismes divergents en renonçant à un universalisme impossible, qui ne saurait annihiler les rapports de force, ni gommer les différences, mais au contraire les renforcerait en les développant côte à côte ? Que penser des imaginaires nationalistes ? Sont-ils toxiques, tragiques, ou tendent-ils à préserver la diversité des richesses culturelles et linguistiques ? Que gagnerions-nous à devenir des citoyens du monde sans passeport, avec un seul gouvernement central, qui évoquerait le cauchemar orwellien ou l’utopie de l’harmonie unitaire ?

     

    La question se pose donc : quelle dynamique prévaudra entre ces mythes de l’union et de la singularité ? Le désir idéaliste de dialogue culturel l’emportera-t-il un jour lointain sur la prédominance réaliste des rapports de force politiques et économiques ?  

     

    Nos valeurs, nos comportements, nos créations, nos institutions, nos conflits, nos espoirs et nos peurs s’inscrivent dans ces grandes configurations mythiques qui émergent, se transforment ou s’effacent selon nos évolutions sociologiques, c’est-à-dire, politiques, économiques, technoscientifiques, sans que nous sachions si le mythe de l’unité perdue l’emportera sur celui de la singularité. Est-ce l’individualisme qui triomphera finalement ? Ou le mondialisme ? Tous deux revendiquent la supériorité de leur créativité. Les enjeux sont imaginaires, mais la bataille est bien réelle. Pour reprendre et amplifier les mots du poète allemand Hölderlin, c’est mythiquement que nous habitons le monde.

     

    Notes

     

    [1] Catalogue de l’exposition Paris Moscou, p. 403, Centre Pompidou, Paris, 1979.

     

    [2] Voir le site de la Société internationale de mythanalyse : www.myrthanalyse.org.

     

    [3] Hervé Fischer, La société sur le divan, vlb éditions, Montréal, 2007.

     

    [4] Freud nous an a donné diverses démonstrations tout au long de sa vie, notamment dans Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Totem et tabou (1913), Psychologie des masses et analyse du moi (1921), L’Avenir d’une illusion (1927), Malaise dans la civilisation (1929), Moïse et le monothéisme (1939).



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