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  • L'exigence d'actualité de la mythanalyse
    Sous la direction de Hervé Fischer - Ana Maria Peçanha - Orazio Maria Valastro

    M@gm@ vol.16 n.2 Mai-Août 2018

    Actes du colloque En quête de mythanalyse
    Colloque international d’étude autour de la théorie mythanalytique
    23 Octobre 2017 - Université Paris Descartes


    À CHACUN SON MYTHE: PHILOCTÈTE OU LE MYTHE DU COUILLON

    Norbert Chatillon

    norbert.chatillon@sertif.com
    Philosophe et psychanalyste, travaille auprès d’entreprises et d’organisations, dans les domaines de l’approche psychologique des situations de vulnérabilité, l’approche des situations traumatiques en situation de « juste après crise » et la mise en place de dispositifs de prévention des risques psychiques.


    Atelier expérientiel Imaginer pour comprendre le monde
    L'expérience de l'errance vécue dans la créativité autobiographique
    Dessin: Simone Arena - Lycée Artistique d'État Emilio Greco
    Ateliers de l'imaginaire autobiographique © OdV Le Stelle in Tasca

    Ce texte m’a servi d’appui à l’intervention orale et ne fut lors de celle-ci prononcé que très partiellement.

     

    Héraclès détenait un arc aux flèches invincibles. Et  c'est un peu par là que commence l'histoire de Philoctète, curieuse chose dans la mesure où Philoctète, dans la tragédie de Sophocle, est sur une île déserte, abandonné  par les marins d'Ulysse, seul, seul avec son arc, et seul aussi avec sa blessure puisqu'il a été mordu à la jambe par une vipère, et que l'argument d'Ulysse pour avoir fait jeter Philoctète sur cette île est que la puanteur de la jambe de Philoctète, et ses cris de douleur, empêchaient les marins de faire leurs libations et leurs sacrifices. En vrai Philoctète n'est pas "jeté" sur l'île : à l'occasion d'une escale, il s'endort sur un rocher, les marins repartent et ne le réveillent pas.

     

    C'est par là que s'ouvre la tragédie de Sophocle, au moment où Ulysse fait appel au fils d'Achille, Néoptolème, pour essayer ou de convaincre Philoctète de rejoindre l'armée grecque pour vaincre Troie, ou de s'emparer de l'arc de Philoctète parce que l'oracle a prédit que les grecs ne pourraient vaincre Troie qu'avec l'arc d'Héraclès que détient Philoctète. Là, petite erreur, dans la mesure où Néoptolème fils d'Achille n'est pas celui qui a servi d'intermédiaire, puisqu'il s'agirait d'un certain Diomède, mais ce qui est intéressant c'est que Sophocle prend justement le fils d'Achille... et que Philoctète sera celui qui vengera Achille.

     

    La tragédie de Sophocle va se développer en ruses multiples, de la part d'Ulysse, mais surtout ce qui est important, c'est ce qui va apparaître, d'une part dans le rôle de Néoptolème, d'autre part dans le fait qu'on ne pourra pas dissocier l'arc de celui qui le porte. On ne pourra pas les dissocier, et en même temps, lorsque Philoctète acceptera de rejoindre l'armée grecque, Héraclès apparaît et lui  annonce  que Néoptolème  fils d'Achille et lui-même Philoctète ont leurs destins indissociables, et que, étrangement, Philoctète devra venir déposer sur la tombe d'Héraclès le tribut de guerre qui lui aura été remis après la victoire sur Troie.

     

    Cela, c'est la tragédie de Sophocle.

     

    Et ce qui est intéressant, c'est non pas ce qui est chez  Sophocle, mais paradoxalement ce qui se passe juste avant et juste après, que je dirai plutôt le non-dit de Sophocle.

     

    Et je reviens à cette histoire d'Héraclès, blessé mortellement par un centaure, et qui pour échapper aux douleurs de cette mort va demander à être brûlé vif sur un bûcher. Personne ne veut mettre le feu à ce bûcher, sauf, il y a toujours un couillon, et le couillon, c'est Philoctète. Et, pour le remercier, Héraclès lui remet l'arc aux flèches invincibles, c'est à dire l'arc de mort, et c'est là que le destin de Philoctète commence.

     

    Philoctète est un petit peu pour chacun d'entre nous cette double polarité puisqu'on va le retrouver à partir du moment où lui-même sera blessé à la jambe par une vipère, comme un être qui d'un côté détient une force invincible et qui de l'autre est obligé de se transporter continuellement avec sa blessure.

     


    Norbert Chatillon avec Ana Maria Peçanha et Walter Melo
    En quête de mythanalyse
    Colloque international d’étude autour de la théorie mythanalytique
    23 Octobre 2017 - Université Paris Descartes

    Chose étrange et qui est bien du versant du symbole : tentez donc d'atteindre une cible de façon juste en ne pouvant pas placer votre équilibre, avec une jambe fragile, faible, ou blessée. Et c'est cela le symbolisme de cet arc que détient Philoctète, c'est qu'il atteint son but alors que dans le réel c'est absolument impossible.

     

    Que se passe-t-il ? D'abord c'est une histoire qui se passe entre hommes, en tout cas entre personnages aux noms masculins, Ulysse, Philoctète,  Néoptolème.

     

    Et quel va être le destin de Philoctète ?

     

    Il provoquera Pâris en duel, à l'arc !

     

    Il va tirer sur Pâris quatre flèches, et la première n'atteindra pas son but, ce qui est très curieux puisque l'arc est réputé invincible. La seconde vient blesser Pâris à la main par laquelle il tient son arc : Pâris ne peut plus se battre. La troisième flèche vient lui crever l'œil droit. Quant à la quatrième, elle blesse Pâris à la jambe, et elle le blesse mortellement. Encore une mort manquée comme la mort d'Héraclès mordu par un centaure, dans la mesure où, de fait, Pâris ne sera pas tué par Philoctète. Car Pâris va se précipiter sur le Mont Ida pour essayer de rencontrer la nymphe qui détient les remèdes, les plantes, qui peuvent le soigner. Mais la Nymphe, jalouse d'Hélène, ne va pas le soigner.  Alors Pâris repart, et va mourir. Alors est-ce qu'il meurt de la flèche de Philoctète ou du refus des soins de la Nymphe ...  ce que l'on sait c'est que la Nymphe, prise de remords, ou dit-on peut-être empêchée par son père de soigner Pâris, va se précipiter ensuite pour rejoindre celui-ci, mais par trop tard, Pâris sera mort.

     

    Le dernier événement, le dernier épisode que l'on peut retrouver, mais tout cela n'est pas dans Sophocle, c'est que Philoctète va être poussé de révéler le lieu de la tombe d'Héraclès, et il va finir par céder, et par révéler ce lieu. Et au moment où il trahit  ce secret, au moment où il révèle le lieu de la tombe d'Héraclès, une flèche quitte d'elle-même le carquois et vient tuer Philoctète à la jambe.

     

    Ainsi donc, voici Sophocle une nouvelle fois au droit de la psychanalyse, avec cette surprise que Philoctète, en cette sphère, est peu ou pas nommé, cité.

     

    Mais, pour mieux sans doute y réentrer, je parlerai d'abord d'un roman policier de deux auteurs, Boileau et Narcejac, et qui s'intitule Et mon tout est un homme. Voilà l'histoire: un médecin rêve de réaliser une "greffe totale", c'est-à-dire de reconstituer un homme à partir de différentes parties humaines. Pour cela, il va mettre en œuvre une procédure diabolique qui va consister à négocier le rachat d'un condamné à mort pour opérer la greffe totale : officiellement un homme proche de l'exécution est extrait de sa cellule de la Santé et est, dans une nuit découpé en 7 morceaux, la tête, les jambes, les bras, le tronc, le bas-ventre, et dans la même nuit on récupère sept personnes accidentées de la route  auxquelles on va greffer, à chacune, soit une jambe, soit un bras, soit le bas-ventre, soit la tête, ce qui fait qu'on se retrouve devant sept personnes qui détiennent chacune une partie du condamné à mort. Que va faire le médecin? D'abord observer le rejet : c'est une femme qui porte une jambe d'homme, c'est à un prêtre qu'a été greffée la main de l'assassin, etc..., et surtout observer qu'aucun des personnages ne supporte de "porter" sur lui une partie de quelqu'un qui a été condamné à mort, sauf celui qui a la tête, parce que celui qui a et est la tête, c'est le condamné à mort qui a " toute sa tête ", et qui, lui, veut récupérer son corps . Il va, avec la complicité du médecin, procéder à six meurtres, qui vont lui permettre de se refaire greffer chacune des parties de son corps ! A la fin, il tue le médecin, et s'évade ou se libère, au choix !

     

    Je laisse à chacun le soin de faire le lien qui s'impose entre ces deux histoires.

     

    Entre ce texte de Boileau et Narcejac,- et c'est quand même curieux, deux auteurs qui écrivent un livre où il s'agit pour l'homme de retrouver son unité à travers 7 greffes, chef d'œuvre de deux auteurs qui trouvent ici leur unité en tant qu'écrivain et qui ont peut-être signé là "son" chef d'œuvre - et celui de Sophocle, nous avons de quoi interroger ce que signifie pour chacun sa rencontre avec son propre mythe. Je ne sais pas si Philoctète est mon propre mythe, en tout cas il a fallu que j'en passe par là, et peut-être je puis ce soir en parler avec moins d'émotion, puisque devant les souffrances de mon père sur ces dernières heures le médecin a demandé que quelqu'un de la famille prenne la décision d'autoriser la piqûre qui atténuerait sa douleur mais anticiperait de quelques heures sa mort. Et ce qui m'étonne, c'est que d'une part je tournais autour de Sophocle et de Philoctète bien avant cet événement, et que d'autre part les seules parties du mythe qui me concernent et me parlent vraiment, ne sont justement pas dans la tragédie de Sophocle. Il est certain que lorsque j'ai découvert que Philoctète est ce couillon qui accepte de mettre le feu au bûcher d'Héraclès qui réclame la mort, cela m'a parlé : on entre en analyse par la voie qu'on peut, n'est ce pas ? Et la deuxième rencontre pour moi avec le mythe s'est passée à Sète, où pris d'un affect au sortir d'une réunion de travail, je me suis rendu successivement sur les tombes de Valéry et de Brassens. Et je reverrai toujours le visage du gardien du cimetière qui avait accepté d'ouvrir la porte pour me rendre sur la tombe de Valéry et à qui j'ai donné ce soir là jusqu'au dernier sou que j'avais en poche, et qui ne savait pas pourquoi tout cela, là-bas, avait du sens, du sens pour moi de rencontrer une tombe, d'autant plus que je me suis transporté longtemps à la recherche d'une tombe impossible, celle de mon père, lequel avait décidé de léguer son corps "à la médecine", c'est à dire que son corps a été découpé comme j'ai pu le retrouver dans Et mon tout est un homme de Boileau et Narcejac.

     

    L'autre bout du mythe était pour moi cette recherche de la tombe, qui est cette rencontre que Philoctète va faire avec la tombe d'Héraclès et qui va lui coûter la vie.

     

    Je voulais vous le confier simplement, car il y a deux manières pour quelqu'un d'approcher un mythe par la voie psychanalytique. J'aurais pu vous parler du mythe dans sa généralité, mais tout le monde sait que ce n'est pas pour rien que l'on s'intéresse à un mythe: alors j'ai préféré avec vous ce soir jouer une sorte de transparence, laquelle montre aussi qu'il y a un moment où s'étant coltiné véritablement avec un mythe, on s'aperçoit qu'on ne peut survivre qu'en en décollant, en prenant une bonne distance par rapport à ce mythe, autrement on en est entièrement dépendant, et on en meurt !

     

    Et la question vient à se poser de ce qui se passe pour son propre mythe lorsque soi-même on exerce comme analyste. Là, il se passe des choses étranges dans la mesure où il y a ce dans quoi soi-même on est pris et puis ce que l'on peut entendre de l'autre parce qu'on a déjà trouvé une bonne distance par rapport à ça. Et j'ai remarqué que depuis que je me suis affronté avec ce que j'appelle ce complexe de Philoctète, il y a eu des modifications essentielles dans la relation analytique entre les personnes qui me font la confiance de travailler avec moi et moi-même. Il y a ceux qui d'un coup ont véritablement transformé leur relation au père et pour lesquels ma propre écoute au niveau d'un certain type de problématique du père peut enfin se faire. Et il y a toute une autre partie de la clientèle analytique qui arrête le travail avec moi à ce moment là, et l'une des hypothèses, sans doute pas la seule, serait qu'il y a des gens - et ce n'est pas "pour rien" qu'on travaille avec tel analyste - qui sont avec un analyste pour être entendus sur un certain nombre de points, et il y a des points très nodaux où leur analyste ne peut pas les entendre et ils le savent : et justement au moment où leur analyste va enfin pouvoir les entendre, c'est la fuite , et ils ne vont pas réapparaître. D'une part on peut se dire que les résistances sont induites par l'analyste souvent inconsciemment au sens où les choses que lui-même n'a pas sinon réglées, du moins élaborées, font un véritable écran empêchant le travail de certains plans pour au contraire les conforter, d'autre part on constate que l'analyste a été choisi pour cette induction là, puisque ceux qui sentent que des pans énormes d'eux-mêmes vont pouvoir être entendus ne réapparaissent pas. Cette dialectique étrange me semble devoir être affinée, mais, déjà, quelle leçon d'humilité !

     

    Alors c'est là que nous replongerons dans le texte de Sophocle, car, en fait, si nous reprenons les trois personnages que sont Ulysse, Philoctète, et Néoptolème, on va s'apercevoir que l'on retrouve curieusement les trois éléments fondamentaux du repérage lacanien, c'est-à-dire  le symbolique, le réel, et l'imaginaire. Ce que je vais tenter de développer, au sens où il faut bien comprendre qu'il y a deux lectures possibles d'Homère, une qui serait de considérer Ulysse comme un homme, et l'autre qui serait de le considérer comme une femme. Et s'il vous prend l'envie de relire ses textes en vous disant tout simplement qu'Ulysse n'est pas un homme, mais une femme, au sens où le plan conscient d'Ulysse est effectivement masculin et où l'ensemble de la conduite d'Ulysse est typiquement de l'ordre du féminin, vous découvrirez qu'il ne s'agit pas d'androgynie, mais de l'essence même de la ruse. D'où la question de savoir ce qui vient se jouer dans la relation entre Ulysse et Philoctète, et cela se voit d'entrée de jeu, au début du texte, lorsqu' Ulysse fournit à Néoptolème le signe auquel il pourra reconnaître Philoctète : il lui enjoint de chercher une caverne à deux entrées telle qu'en hiver le soleil la puisse chauffer par deux endroits à la fois et qu'en été une brise puisse y circuler et la rafraîchir. Premier point significatif : ce qui pour Ulysse va permettre de reconnaître Philoctète, c'est une caverne à double entrée, et nous sommes bien là sur la perception par Ulysse du plan imaginaire de Philoctète.

     

    Et le féminin va se manifester à travers la ruse, c'est à dire à travers le fait d'utiliser une médiation pour atteindre son but. Le féminin sera dans la référence à la médiation. Ce qui est intéressant, c'est que les commentateurs présentent la tragédie de Sophocle comme un drame de Néoptolème, c'est à dire comme la lutte entre la conscience de Néoptolème et son intérêt, et ce parce que Néoptolème va être pris entre le désir fort d'obéir à Ulysse, à l'obligation de s'emparer de l'arc d'Héraclès et le fait qu'il n'arrive pas à mentir. C'est lui qui va faire la liaison à travers ce qui est de l'ordre tout simplement du langage. La ruse imaginée  par Ulysse est de proposer que Néoptolème vienne dire à Philoctète que lui-même Néoptolème a été abandonné par Ulysse, et que Ulysse lui a fait la pire des crasses, c'est à dire qu'il lui a dérobé les armes de son père Achille alors qu'elles lui revenaient de droit.  La ruse d'Ulysse consiste à obtenir de Néoptolème qu'il devienne complice de Philoctète dans une même haine. Néoptolème va essayer de persuader Philoctète qui ne va pas bouger, et, à un moment, Néoptolème va dire tout simplement qu'il part. On assiste alors à l'effondrement de Philoctète qui va supplier Néoptolème de l'emmener avec lui.

     

    Et c'est là que nombre de choses vont se jouer, puisque le comportement de Philoctète c'est cette ambivalence perpétuelle de l'homme qui a les moyens d'atteindre toujours son but, qui a toute une force et tout un pouvoir, mais qui ne sait pas du tout quoi en faire dès lors qu'il traîne toujours sa blessure, et ça ne s'intègre pas. Il y a les deux pôles : une blessure étrange qui fait qu'il se sent vulnérable alors qu'il sait qu'il ne l'est pas. Alors que Ulysse s'annonce dans une force extraordinaire et en même temps c'est lui qui dépend de Philoctète, ce qui n'est pas sans nous évoquer aujourd'hui cet étrange texte de Hegel dans la Phénoménologie de l'esprit qui est celui de la dialectique du maître et de l'esclave, puisque le maître est esclave de l'esclave, et qu'il n'est maître qu'autant que l'esclave accepte sa peur et sa dépendance par rapport au maître, et que dès lors que l'esclave n'accepte plus sa condition et n'a plus peur du maître, le maître ne peut plus l'être. Celui des deux qui ici est le véritable maître, c'est bien entendu Philoctète, mais il ne sait pas quoi faire de sa propre maîtrise.

     

    Et pour mieux signifier ce point, j'illustrerai mon propos d'une anecdote: voici quelques années, j'enseignais la philosophie dans les classes terminales de lycée, et notamment dans les classes scientifiques, et j'apporte ici le témoignage d'un demi-millier de copies ayant eu à porter les pensées de leurs auteurs sur le thème imposé comme sujet "Vivre libre ou mourir", donné là, brut, sans formule d'accompagnement. Tous les adolescents posaient le problème en termes de morale et en termes de choix, c'est à dire il faut choisir entre vivre libre ou mourir. Or, poser cela en termes d'alternative interne à l'expression conduit à une impasse. Ce qui est curieux, c'est que même si l'on a peu de connaissances historiques de la Révolution Française, on sait bien que ceux qui employèrent cette  expression posaient l'ensemble comme un choix, ils n'avaient nullement l'intention de choisir entre l'un ou l'autre des termes, ou plus exactement leur choix était clair, c'était la liberté. Mais ils étaient dans la situation où l'alternative était :"vivre libre ou mourir" ou "ne pas vivre libre et ne pas mourir ". En logique mathématique, nous retrouvons ici les lois de Morgan : (VL OU M)  ou  (non VL ET non M). C'est à dire que le choix posé par l'expression, c'est le refus de ne pas vivre libre même si le bénéfice en était de ne pas mourir. Mais ce qui est intéressant, c'est de voir que lorsque cela est posé en termes logiques beaucoup de personnes franchissent avec aisance l'obstacle de la mathématisation minimale, et que lorsque le contenu de l'expression est fortement imprégné, il vient barrer le chemin à la compréhension, pire il la dévie de son sens.

     

    De quoi nourrir notre retour à Philoctète, avec d'un côté son arc et d'autre  part sa jambe blessée, qui ne fait pas son unité et se trouve dans la situation de ceux qui, à partir de la formule que je vous ai soumise, essayent de poser le problème dans les termes "avoir l'arc" ou "être blessé", alors que le problème n'est pas celui du choix entre l'un ou l'autre, il est que Philoctète a à vivre avec cette problématique entière. Et la véritable problématique de la liberté, elle est globale ici. Bien entendu elle apparaît dans les périodes les plus importantes sur le plan politique, lorsque socialement les libertés sont menacées, mais, psychologiquement, elle se présente toujours sous cette forme là, quel qu'en soit l'énoncé, provocateur, dérisoire, humoristique ou sentencieux. Mais Philoctète est dépendant, non pas de sa blessure, mais presque davantage de son arc qui le met dans une situation ambivalente. Il est dans l'imaginaire en ce qu'il ne s'inscrit pas dans quelque chose qui va le forcer à faire un certain nombre de choix qui est justement l'approche que va lui donner Ulysse. C'est en cela que je présente ici Ulysse comme une femme, car dans la tragédie de Sophocle, il ne s'agit ni d'Ulysse, ni de Philoctète, ni de Néoptolème, il s'agit des trois positions possibles d'un même être. Et c'est tout le problème du théâtre, et les tragédies de Sophocle sont sur ce point très clair, en ce que l'écriture théâtrale, davantage que l'écriture poétique ou romanesque, instaure explicitement un dialogue entre différentes instances de soi-même.

     

    La présentation dramaturgique permet à celui qui écrit de se couper à lui-même la parole au moment où il ne peut pas aller aussi loin qu'il le peut. Une réplique s'écrit, et à ce moment là, ne pouvant pousser la pensée jusqu'au bout, elle se coupe elle-même d'un autre plan. La tragédie de Sophocle est à prendre ainsi : il ne s'agit pas de l'histoire de ces trois hommes, il s'agit d'une confrontation entre trois plans du même. Et Ulysse y est le féminin, non pas de Philoctète, mais de cet être qui est dans cette confrontation avec lui-même, et la ruse est celle à laquelle nous sommes nous-mêmes confronté de manière intérieure lorsque nous faisons parfois appel à une troisième instance pour médiatiser une confrontation avec certaines parties de nous dont nous n'avons pas encore fait l'unité et qui restent dans l'imaginaire. Or chacun prend les moyens qu'il peut pour essayer de casser cela. Alors il s'agit bien entendu ici de la problématique de l'homme dans la mesure où faisant d'Ulysse une femme, on voit que Ulysse va être cette confrontation au réel qui va essayer à tout prix de casser l'imaginaire de Philoctète.

     

    Et il va le casser avec les moyens du bord : Ulysse ne peut pas apparaître tel quel à Philoctète, car il sait très bien qu'il y a un risque, et que ce risque extra-ordinaire est un risque de mort, car n'oublions pas que Philoctète détient cet arc aux flèches invincibles, et il peut tuer Ulysse, qui ne peut pas apparaître sous cette forme. Nous sommes là devant le risque d'éclatement, et Ulysse va utiliser la médiation de Néoptolème, et cette médiation va constituer une position intenable, et le drame de conscience que Sophocle met en lumière à propos de Néoptolème est justement cette difficulté  qu'a le Moi à se situer lorsqu'il est un faux Moi, personnage qui essaye de concilier et d'essayer de survivre, faux Moi ou Moi privé de liberté. C'est seulement beaucoup plus tard que Néoptolème va représenter le symbolique, au moment où Héraclès va simplement dire, et c'est à la fin de la tragédie, lorsque Philoctète accepte de s'embarquer avec les marins d'Ulysse, Héraclès apparaissant soudainement au dessus de la falaise : « Pas encore, pas avant d'avoir, o fils de Péas, écouté ce que j'ai à te faire savoir. Dis-toi que tes oreilles entendent la voie d'Héraclès, et que tes yeux le contemplent lui-même. C'est pour toi que je suis là, et que quittant le céleste séjour, je viens te révéler   les desseins de Zeus, en même temps que t'arrêter sur la route que tu veux prendre. Prêtes l'oreille à mes avis, et tout d'abord je te rappelle ton destin, et par quelles peines j'ai péniblement passé tour à tour avant de conquérir cette gloire immortelle que tu peux contempler. Et bien toi aussi, saches le, c'est un sort pareil qui t'attend ».

     

    Au moment où Philoctète essaye de s'en sortir, il y a le rappel. " Pars donc avec cet homme pour la cité troyenne, tu y verras cesser ton horrible mal, puis, porté par ta valeur aux premiers rangs de l'armée, tu feras tomber sous mes flèches Pâris, l'auteur de nos maux. Tu prendras Troie, et la part du butin que tu obtiendras pour prix de ta vaillance entre tous nos guerriers, tu l'enverras dans ton palais à ton père Péas sur le plateau de Leta, ton pays. Pour celle en revanche que tu recevras de l'armée en mémoire de mes flèches, portes là à ma tombe.

     

    Ce que ne lui dit pas Héraclès, c'est ce qui va lui advenir là justement.

     

    Ce qui est intéressant, c'est qu'après s'être adressé à Philoctète, Héraclès s'adresse à Néoptolème : « A toi aussi, fils d'Achille, j'adresse les mêmes conseils : tu ne peux sans lui conquérir la plaine troyenne, et il ne le peut, lui, sans toi. Comme deux lions marchant de conserve, veillez donc tous deux, lui sur toi, toi sur lui ».

     

    Nous avons la réponse: Philoctète est blessé à la jambe, et Héraclès lui dit, en prise directe, en apparition, comme un songe, qu'avec Néoptolème le fils d'Achille, non seulement il va vaincre, mais en plus il sera guéri de son mal.  C'est à partir du moment où Philoctète intègre cette figure de lui-même qu'est Néoptolème, c'est à dire où il s'associe (tu ne le peux sans lui, il ne le peut sans toi), où il fait son unité, que curieusement, le symptôme et la blessure sont annoncés à disparaître. Il peut retrouver sa véritable force, et sa véritable victoire qui s'inscrit dans le réel. Car qu'est-ce que cet arc aux flèches invincibles qui ne sert à Philoctète qu'à abattre les oiseaux pour obtenir sa nourriture sur une île déserte, ces oiseaux ayant été abattus, Philoctète dit lui-même qu'il passe ensuite des heures à se traîner vers eux avec sa jambe malade !

     

    Que fait Philoctète de sa force tant qu'il n'a pas intégré sa blessure ?

     

    Quelque chose d'appauvri, limité : nous sommes bien là devant une situation névrotique, car qu'est-ce qu'une névrose sinon l'impossibilité, l'impuissance de mobiliser ses propres forces ?

     

    Et tant que les blessures ne sont pas intégrées, nous sommes trainés, et ce dans une souffrance d'autant plus grande que nous sentons en nous des forces absolument extraordinaires. Car qui n'a pas en lui ces forces là, ou qui ne les sent pas, même d'une blessure il n'aura pas la même souffrance. Et de ce point de vue là, Néoptolème n'est plus le complémentaire, c'est à dire aussi la béquille sur laquelle va s'appuyer Philoctète : il est celui par qui la symbolisation va pouvoir se faire. A ce moment là, vous vous apercevez, dans la tragédie de Sophocle, qu'il n'est plus question d'Ulysse. Ulysse, qui a été le provocateur, n'est plus nécessaire. Il n'est plus besoin d'un réel extérieur, même ayant pris une figure féminine au niveau de la ruse, à partir du moment où le réel, ce sera cet ensemble là.

     

    Ulysse, toutefois, va rencontrer Philoctète, mais d'une manière étrange.

     

    Car qu'est-ce qui va en effet décider Philoctète de partir pour Troie ? C'est que Ulysse, ayant découvert que Néoptolème n'y arrive pas, va  se présenter sur l'île sous la figure d'un marchand, et dire, raconter à Philoctète qu'il a entendu dire qu' Ulysse cherche Philoctète, cherche à s'en emparer par la ruse, témoignant de la parole de l'oracle énonçant que sans la complicité de Philoctète Ulysse ne pourrait vaincre la ville de Troie !

     

    De telle sorte que c'est lorsque Ulysse, mais travesti en marchand, tient le discours vrai  et ne se nomme pas lui-même comme sujet de ce discours qu'il va pouvoir être entendu de Philoctète, et bien entendu dans un malentendu ! La ruse qui fonctionne le mieux est le discours vrai, le moment où en clair la vérité est nommée, mais le sujet de la vérité lui-même ne se nomme pas. Et à ce moment là, que fait Philoctète ? Il décide de partir, et d'embarquer sur le premier navire qui est justement celui sur lequel se trouve Ulysse, et parce qu'il veut mettre la plus grande distance entre Ulysse et lui-même ! Il se jette complètement dans la gueule de son destin au moment où il croit le fuir.

     

    Je ne sais pas si, avec tout cela, il y a besoin d'éclairer encore plus une figure d'anima ! C'est vraiment ainsi que ça se passe : la confrontation avec les effets de l'anima se passe bien sous cette forme. C'est à dire que c'est au moment où le discours est le plus vrai que Philoctète prend la poudre d'escampette, et c'est au moment où la ruse est la plus prégnante qu'il est dans la résistance.

     

    Qu'y a-t-il, avant de poursuivre à dire de cette jambe blessée, et notamment du symbolisme du pied, sans compter qu'une des instances de ce complexe que nous décrivons n'est autre que le fils d'Achille au talon bien célèbre ? Les Grecs et cette zone du pied, ça n'est quand même pas rien ! Ça n'arrête pas ! Oedipe, paraît-il, " pied enflé" et boiteux, et qui, justement parce que c'est sa problématique, va pouvoir répondre à l'énigme du sphinx : ça lui parle !  Le pied qu'au delà de nombre de carrefours de la mythologie grecque on retrouve avec le Christ lavant ceux de ses apôtres : réponse fabuleuse du christianisme venant purifier la problématique de la blessure telle qu'elle traverse la mémoire de cette mythologie.

     

    Ce qui nous conduit, et la puanteur de la jambe de Philoctète en fut notre point de départ, à la question pour chacun de savoir comment se laver, se nettoyer, se purifier de ses propres blessures ? Car en effet le problème de Philoctète est moins dans le fait qu'il a été blessé par une vipère, que dans celui que sa plaie ne cesse de suppurer, qu'elle ne cicatrise pas et qu'il souffre en permanence. C'est le fait qu'il y a toujours l'entretien de la blessure : caractéristique de la mythologie grecque que d'être non seulement blessé, mais continuellement soumis à l'endurance de la blessure, ce qu'on retrouve avec Prométhée, ou au renouvellement de la souffrance par le caractère répétitif de la peine, témoin Sisyphe. Toujours une circularité, et tant qu'on est pris dans le cercle, la blessure ne fait que se répéter et se reproduire elle-même, et l'une des tentatives, ou tentations, du christianisme a été d'essayer de laver, c'est à dire de casser symboliquement cette circularité dans laquelle les uns et les autres étaient pris.

     

    Ceci me semble d'autant plus essentiel à identifier que nous sommes conduits à nous interroger sur la place de la psychanalyse dans la mesure où il est de plus en plus difficile et délicat de définir ou de caractériser la psychanalyse, et non pas du point de vue de la demande d'un visiteur ou d'un patient, mais de celui de l'offre.

     

    Car selon qu'on s'intitule et se positionne socialement "psychologue", "psychothérapeute", "psychanalyste", on ne rencontre pas - vieux débat- la même clientèle. En disant "psychanalyse", il n'est ni dit que le contrat est de l'ordre d'une guérison ni qu'il y a la prise en charge d'une maladie : il y a la prise en charge et en compte, ensemble, d'une problématique, et de quelque chose qui est autant à travailler au plan des structures que des signes perceptibles parfois nommés symptômes.

     

    Chose connue au plan de l'intention et qui n'en est pas pour autant facile de fait, car l'on voit, et particulièrement dans les problématiques hystériques, tout le chemin de déplacement des symptômes, alors que le problème du travail sur la structure est quelque chose qui passe par la confrontation avec le mythe, et par sa déconstruction. Et ce qui va permettre d'élaborer l'union entre ce qui est de l'ordre des forces les plus étranges et les plus insoupçonnées d'une personne, souvent géniales au niveau de l'inconscient, et ce qui est de l'ordre de sa blessure. L'entretien de la blessure s'articule sur l'enfermement dans le mythe.

     

    Quel en est l'effet, au point où je vous ai parlé de ce qui me semble pouvoir  être identifié de l'ordre de la névrose ? D'autant plus, qu'expérience faisant, moins j'ai de repères satisfaisants démarquant névrose et psychose, d'autant que je parle depuis une pratique libérale, et non en institution, et pour laquelle le critère d'intégration sociale constitue fort peu un outil de repérage et de différenciation. Mais à partir du moment où je considère, sans même savoir et pour cause s'il y a psychose, qu'il y a peut-être psychose, que je dois la traiter comme une culture, l'approche devient différente, et nous renvoie à des modèles plus ethnologiques qu'à une nosographie psychiatrique. Et m'aide énormément ce  court texte de Lévi-Strauss, Race et histoire, et ,notamment l'image des deux trains qui se croisent et qui empêchent ainsi de voir ce qui se passe dans un train depuis l'autre, et il en est ainsi de deux cultures qui ne vont pas dans le même sens, à la différence de deux trains à écart minime de vitesses cheminant un temps en parallèle et permettant ce temps durant l'observation des phénomènes, et il en est ainsi des voisinages ou proximités de cultures.

     

    Lévi-Strauss prend cette image pour parler de l'ethnocentrisme qui consiste notamment à induire, de son impossible à voir la culture de l'autre, qu'il n'y a pas de culture. Quand on ne voit pas la psychose de l'autre, depuis son propre noyau psychotique, on dit qu'il n'y a pas de psychose, mais surtout, la seule possibilité de travail sur le plan d'une psychose, sera sans doute cette étrange rencontre entre la problématique d'une personne et celle de son analyste. C'est ce à quoi l'analyste a à être extrêmement vigilant sur lui-même dans la mesure où c'est avec ce chemin commun  que les deux inconscients vont pouvoir communiquer, et que, bon an mal an, les choses vont pouvoir se dégager, et ce dès lors qu'on considère la psychose comme une culture, c'est à dire comme quelque chose qui est du sens qui ne parvient pas à se faire entendre, et que sans doute je ne peux pas entendre.  De ce point de vue, la possibilité de ce qu'on prétend être une thérapie, c'est simplement la possibilité, la grâce de cette mise en résonance orientée vers le plus de conscience. Car si on ne la voit pas, cette mise en résonance, le risque est grand de le payer soi-même de sa santé psychique, voire de sa vie. Et ce n'est pas un petit mot que je lâche là, en disant que c'est sa propre vie qui est menacée lorsqu'on est complètement envahi par la " culture " de l'autre que l'on n'a pas vu fondre sur soi.

     

    Ceci pour mieux voir ce qui est de l'ordre des résistances de Philoctète : sa blessure qui lui arrive et lui vaut d'être jeté, et toute une série de plans de son destin, signifient son impuissance à mobiliser entièrement les forces les plus profondes de lui-même. Le passage par la blessure et par l'isolement, par l'ombre pour rencontrer la lumière, renvoie à la question de savoir si la névrose ne constitue pas de fait un passage à l'acte nécessaire pour pouvoir se retrouver ensuite au niveau du sens.

     

    Question du sens de la névrose, car en fait, plus on travaille plus on confirme que les événements traumatiques affectifs sont objectivement indiscernables, et que leur transformation en blessure est davantage signifiante que leur origine. La quête de la blessure, la recherche de la lésion viseraient le conflit à créer, étape indispensable à la résolution d'une situation d'étouffement dont le drame paradoxal est de n'être pas conflictuelle. La névrose n'est plus à ce moment là à considérer comme une maladie à traiter au sens où il conviendrait de ra-mener, de re-venir à une norme antérieure, mais à prendre comme un moment dialectique de la réalité d'une personne : c'est le moment parfois, où à travers la blessure, à travers la souffrance, la personne se sent enfin elle-même, au sens de "se sentir". Philoctète illustre bien cela dont la permanente parole sur sa propre blessure est la seule manière de se retrouver dans son identité et de ne pas dépendre entièrement du milieu dans lequel il est enfermé.   Et on rencontre ça aussi dans la névrose : la souffrance, la blessure, leur inscription dans le corps sont souvent ce qui maintient l'identité de la personne, et le rapport parlant  à cela ce qui maintient l'unité. C'est donc seulement au moment où les possibilités d'un Moi beaucoup plus fort et moins étouffé vont apparaître que la blessure va pouvoir se résorber. Comme si la blessure était un substitut au Moi faible, ce qui maintient au niveau du corps et d'une souffrance l'unité du Moi qui est  défaillante sur le plan psychique. Ainsi, il ne convient pas de dire que le Moi devient plus fort ou plus structuré du fait que le symptôme a été débusqué.

     

    C'est plutôt que le symptôme peut disparaître parce que le Moi s'est structuré: on a changé de plan, on a symbolisé.

     

    Il n'est plus là question de parler de maladie, bien plutôt de " sens de la souffrance", et cela joue beaucoup pour l'analyste qui comme moi n'est pas médecin, car le rapport au corps de l'autre, au moins, est différent.

     

    Cela m'a conduit, au début de ma pratique, à être très intervenant, et à vouloir à tout prix sortir les autres de leur souffrance et de leur symptôme. Comme s'il y avait eu là une sorte de volonté personnelle de réparer quelque chose de l'ordre de mes propres blessures et de vouloir absolument que les gens s'en sortent à toute allure. Et j'ai repéré ceci : le non respect du temps de l'autre déclenchait un retour ré-enfoui du symptôme dans un déplacement spectaculaire, voire hystérique, comme si à travers cela nous devions retenir de l'hystérie qu'elle est le symptôme d'une relation perverse à la durée.

     

    Par contre, depuis que les choses se sont nuancées pour moi et que je n'ai plus la même précipitation à vouloir faire disparaître la souffrance de l'autre, même si je reste mû par la même exigence, c'est devenu beaucoup plus dialectique, et la symbolisation se fait davantage.

     

    On n'en a pas fini avec la souffrance, sous prétexte qu'on a fait disparaître les symptômes.

     

    D'où la nécessité de parler de la relation à l'angoisse. Aux personnes qui me rendent visite avec pour demande la disparition des angoisses qu'ils présentent comme maladive, un petit peu comme s'il devenait possible de confondre cicatrisation d'une blessure avec disparition de son histoire et de sa mémoire intérieure et tissulaire, je m'efforce très vite de faire entendre et si possible comprendre que l'angoisse fait partie de la vie. Le travail analytique ne vise pas la suppression des angoisses, ça ce serait du recouvrant fort dangereux, mais la capacité pour le Moi de s'y confronter sans fuir, d'en remonter avec un bénéfice de conscience et de lucidité, avec intégration, et de préférence rapidement et seul. La demande première de Philoctète est d'être soulagé de ses blessures, que la blessure n'existe pas, et là il est dans l'imaginaire, lorsqu'il pense qu'il est possible de gommer. L'inscription dans le réel, c'est le moment où il devient faisable d'intégrer effectivement le fait qu'il y a blessure et qu'il faut la prendre telle qu'elle est: on ne peut pas effacer le réel.

     

    D'où qu'on n'en a jamais fini, qu'on est toujours réactivé, et d'autant plus que les défauts ou déficiences dans l'intégration constituent une menace de réapparition de la blessure ou du symptôme, cette peur qu'on peut avoir que d'en être sorti on en retombe depuis d'autant plus haut ! C'est là que la mythique grecque voyait juste, dans le revenir circulaire de la blessure dans des degrés divers d'élaboration-confrontation. Mais la symbolisation, c'est le moment où cette blessure va pouvoir être prise en compte sur d'autres plans et faire l'économie de l'inscription dans le symptôme et dans le corps. La blessure symbolisée ne disparaît pas, elle devient fondatrice de sens, voire parfois de créativité. Philoctète ne comprendra pas cela qui va trahir le secret d'Héraclès, et en révélant le lieu de la tombe de celui-ci, il est aussi " couillon " que la première fois lorsqu'il avait accepté de mettre le feu à son bûcher, il se mêle une fois de plus de ce qui ne le regarde pas. Par deux fois, il se mêle symboliquement de l'histoire du père qu'il ne respecte pas dans sa propre histoire. Car en fait, la demande d'Héraclès que quelqu'un vienne mettre le feu à son bûcher est une demande qui le renvoie d'abord à lui-même et qui est son propre problème : alors pourquoi y-a-t-il un autre qui tout d'un coup vient répondre à cette  demande ? C'est qu'ici interfèrent deux problématiques, et celle de Philoctète est justement de se mêler en permanence du destin de l'autre.   Tentation étrange, puisque poussée et systématisée à l'extrême, cette figure psychologique trouve ancrage dans le totalitarisme politique. C'est en se mêlant encore de retrouver l'autre que Philoctète va payer !  Ne pouvant même pas le respecter dans le secret de sa tombe, cette fois il le paye de sa vie : ça fait trop !  Et tout cela pour un manque.

     

    Qu'a manqué Philoctète ?

     

    Il a manqué l'amour, tout simplement.

     

    S'il a manqué l'amour, c'est qu'il n'est pas né à l'amour.

     

    Il n'y a pas de naissance de Philoctète à l'amour, et son histoire est étrange, car elle est celle du duel avec Pâris. Il va bien sûr, et d'un certain point de vue, tuer l'amant d'Hélène, mais surtout il va manquer la rencontre avec l'amour dans la mesure où il va croire que c'est lui  qui tue Pâris, alors que, nous l'avons vu, ce n'est pas lui qui le fait. Il est chargé de venger Achille , se croit  encore investi d'un destin, ce qu'Héraclès lui rappelle à la fin, mais d'un destin qui n'est pas le sien et qui est un destin en miroir par rapport à celui du père , le père étant ici la figure du père - le père réel étant Péas, et Héraclès n'étant pas dupe puisqu'il renvoie à la double dimension, partageant en deux lots le tribut de Troie, une partie envoyée au père réel, et l'autre à apporter sur la tombe d'Héraclès. Philoctète, chargé de venger le père de Néoptolème, et qui est pris en permanence dans ce problème du père, tue donc Pâris et ne le tue pas. Pâris est tué en fait par lui-même, par la manière propre dont il a conduit son chemin, et encore une fois Philoctète sera intervenu pour rien, se mêlant de ce qui ne le regarde pas.

     

    L'histoire de Philoctète, l'histoire permanente de quelqu'un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas, dont le destin paradoxal est d'être privé de destin propre, destin qui passe par la médiation de l'autre, ce qui est bien le problème des effets d'anima symbolisés par Ulysse.

     

    Et ce qu'à travers cette histoire j'ai voulu montrer ce soir, peut-être maladroitement, c'est l'existence et la nature du rapport entre la relation au père et les effets d'anima, chose qui n'est pas étrangère au mythe d'Oedipe.

     

    Bien sûr, il est possible de raffiner encore :

    - s'interroger sur la raison pour laquelle Philoctète ne dispose que d'un pied et est de ce fait coupé de l'une de ses racines ;

    - travailler sur ce qui est de l'ordre du symbolique au niveau de la    pénétration, au sens où, d'une part étant blessé à la jambe par une vipère, Philoctète est pénétré dans son corps par un élément phallique et masculin; d'un autre côté lui-même il détient l'arc dont on voit ce qu'il symbolise, mais surtout, ce qui est intéressant au niveau de l'arc, c'est que la trajectoire de la flèche est quelque chose qui ne laisse pas de trace, et que dans les effets justement, c'est uniquement le but atteint et la blessure qui comptent, et non point les moyens par lesquels ça passe. Allez y voir du côté de l'hystérie, vous trouverez sûrement des analogies !

     

    Ne pas oublier que la demande d'une psychanalyse part quand même d'une souffrance, d'un repérage en soi-même d'un dysfonctionnement, même si on ne peut encore le nommer. C'est le fait qu'il y a blessure qui là déclenche la confrontation à la recherche du sens et à la recherche de la vérité : Philoctète ne voit pas quel est le sens de sa blessure. Il ne le voit pas, il ne fait pas l'unité, il essaye. L'unité va passer évidemment par Néoptolème, mais lui seul ne va pas y arriver. Parce que l'ignorance que vous rapprochez à la blessure, il faut bien qu'elle soit identifiée, circonscrite. Vous savez bien qu'on ne pose que très difficilement des questions du lieu d'une ignorance, du lieu du non-savoir ou du savoir faux. En psychologie, il n'y a pas de non-savoir, il n'y a pas d'ignorance, il y a un savoir qui fait écran à un autre, c'est à dire qu'il y a tout un système de représentations qui empêche que les questions soient posées. Je vous renvoie sur ce point aux principaux travaux d'histoire des sciences et d'épistémologie, et notamment aux bouleversements des systèmes de pensée et de représentation déclenchés par l'invention du microscope. C'est uniquement lorsque nous butons, dans la confrontation au réel, contre notre savoir constitué ou notre structure psychique, sur des images ou des faits que nous ne pouvons lire, comprendre, éprouver ou supporter, que nous sommes contraints, je dis bien contraints et obligés, de repenser notre système de questionnement et de valeurs. Cela procède plus d'une nécessité interne que d'une démarche volontariste, notion de destin sans doute ! La demande analytique, c'est le moment où de soi-même on ne peut plus faire face à l'interrogation fondamentale, parce qu'à l'occasion d'événements antérieurs, on n'a pas pu ou su interpeller cette autre image du monde et de soi-même à laquelle on a été confronté. Et le travail analytique de symbolisation n'est autre chose que la reprise en sous-œuvre de l'image  devant laquelle on a été mis, que sans doute on n'avait pas demandée, parce qu'on ne choisit pas les images qui nous adviennent, et étant donné qu'on ne peut pas agir à tous les coups sur le monde extérieur. Lorsque cette confrontation trouve moyen de s'inscrire dans le réel, il est extraordinaire de voir combien tout est mobilisé pour en éviter l'irruption en termes de pathologie; dès par contre que dans le réel se trouve un obstacle incontournable, c'est l'entier champ des questions qui est à revoir, et le fait de devoir se réinterroger et reprendre sa forme d'interrogation sur soi-même se passe le plus souvent dans une grande souffrance.

     

    Philoctète  n'interroge pas et ne s'interroge pas : il est poussé - je parle du personnage. Par contre, si on le prend comme un des éléments d'une structure psychologique, Philoctète signifie cette part de nous-mêmes qui attend d'être poussé aux fesses par d'autres figures de soi pour avancer, et c'est bien du côté de cette inertie là que se situe la résistance, et ce du fait que le réel est toujours plus décevant et beaucoup plus pauvre que l'imaginaire dans lequel on s'est enfermé.  Ce qui renvoie à ce "truc" le plus dur de l'analyse, le moment où un être est confronté à sa propre banalité, ce moment où quelqu'un vous dit qu'il n'a plus rien d'extraordinaire à vous dire ! Ce moment est certainement l'un des plus douloureux, mais il faut le vivre de l'intérieur, sacré moment d'humilité, instant charnière d'une analyse.

     

    Philoctète ne saura pas se placer dans l'humilité : suppliant Néoptolème, Philoctète se met dans l'humiliation. Ce qui est différent et est une manière encore prétentieuse de dénier les limites.

     

    Intervention d'un participant : « Ce qui est intéressant de noter, c'est que pour la plupart des personnages que tu as cités et ceux qui sont autour et très présents dans une tragédie comme celle-là, la plupart des hommes tuent le père des autres : Néoptolème, c'est celui qui tue Priam dont le fils Hector a tué Achille, et Philoctète va favoriser la mort de Pâris. Philoctète est le couillon qui tue le sien ».

     

    Alors quid de l'analyste ?

     

    Et en se défaisant des liens du secret, c'est à dire, en grec, en s'analysant.

     

    Je crois que cette profanation est très importante. Je crois qu'il y  a une circularité de la blessure du meurtre du père qui existe de toute façon  et dont  il faut bien tirer son parti. Il y a du mémorial et de la réactualisation dans la rencontre avec le patient et dans la rencontre "avec l'autre train". On ne peut pas se laisser piéger par le modèle simpliste où l'analyste aurait réglé les choses  et l'autre pas.

     

    Question d'autant plus essentielle pour les analystes qui n'ont pas un demi-siècle de pratique et qui est d'être poussés par la problématique de l'autre qui nous engage dans des retranchements que soi-même on n'avait pas travaillés dans la phase plus égocentrée de l'analyse. Nécessité d'admettre que nous avons aussi besoin de ceux qui travaillent avec nous pour notre propre chemin. Tout à fait d'accord avec vous, il n'y a pas d'un côté celui qui aurait liquidé, réglé tous ses problèmes, et de l'autre ...  Il y a des rencontres avec des chemins, et il est sans doute inutile ici d'en dire plus quant au contenu. D'autant qu'il faudrait introduire ici la notion de persona, d'une part la persona de l'analysant, d'autre part la persona de l'analyste. Celle de l'analysant se découvre lorsqu'on s'aperçoit que par rapport à une séance datée et identifiée toute une organisation des résistances se met en place. Il suffit d'une anticipation par l'analyste d'une séance (à un retour de congés par exemple) pour que les défenses ayant  moins de temps pour "donner bonne figure à l'analysant", quelque chose d'essentiel advienne : la persona ne fait plus écran. Celle de l'analyste se révèle lorsque se présente à la porte un visiteur que l'on n'attend pas,  un jour où l'on ne reçoit pas, et que, pour une raison sans doute à analyser, on  décide de tenir séance ! J'ai comme cela le souvenir d'une fin d'après-midi, on sonne, j'ouvre la porte, et une personne se présente en disant : "excusez-moi, je suis en retard !" Premier rendez-vous, en plus ! Je me suis dit en moi-même que je n'avais pas fait gaffe, et je la reçois, en me disant que j'avais, en tout cas consciemment, oublié.

     

    Mais je ne me sentais pas vraiment dans ma peau d'analyste, et au bout de cinq minutes -sinon contre toute règle, du moins contre toutes mes habitudes -je l'interromps, et je m'entends lui tenir un certain nombre de propos événementiels sur elle-même, alors que je ne la connaissais pas, et dont vous me permettrez de ne pas dire ici la teneur, et je me dis intérieurement  ( sans pour autant pouvoir retenir cette irruption apparemment plus de l'ordre de l'affect incontrôlé que de la pratique analytique ) que je suis en train de délirer. A ce moment la personne s'effondre en larmes : ce que je disais non seulement était vrai, mais était ce dont elle ne pouvait pas parler ! C'est après coup que l'on fait la différence entre le délire et l'intuition. Même si là l'intuition est juste sur le fond et délirante, c'est à dire hors sillon, pour ce qui est de la pratique : car qu'ai-je fait d'autre que de me mêler de la parole de l'autre, me substituant à sa décision et à son usage de son destin, à la manière de Philoctète ? Ce qui est, du reste, le problème des thérapies à forte intervention subjective  du thérapeute, notamment en Gestalt. Mais ce qui est à noter au travers cet exemple, c'est ce que peut donner le défaut de persona, la mise en branchement direct des deux positions inconscientes respectives.

     

    Décrire ici le phénomène n'est surtout pas l'ériger en qualité, et le côté positif de la  persona, c'est son œuvre de différenciation. Positive, la persona est une instance nécessaire. Elle n'est négative que lorsqu'elle œuvre en substitution d'un Moi trop faible : nous retrouvons bien là Philoctète, dont la persona  est symbolisée par l'arc d'Héraclès, arc qui l'empêche paradoxalement d'être lui-même. Ce n'est jamais son arc, on ne va jamais parler de l'arc de Philoctète, on parle toujours de l'arc d'Héraclès. C'est toujours quelque chose que Philoctète tient d'un autre,  et  cette puissance que l'on n'a pas trouvé en soi-même et que l'on tient d'un autre, c'est quelque chose d'encombrant.

     

    Et le problème de la persona de l'analyste, et pour ceux d'entre nous qui avons fait une part de chemin et qui avons un grand chemin à faire, il est de comment trouver sa propre identité d'analyste et ce dans la mesure où l'on est soi-même aussi tributaire du modèle du père ( ou de la mère, mais de cela je parlerai un autre soir ), soi-même porteur de la pratique analytique de celui avec qui on a travaillé, avec une sorte de danger qui est de se sentir protégé, dans une sorte de personnalité "mana" qui nous ferait analyste par procuration, comme Philoctète détient l'arc par procuration. C'est par un chemin de renoncement et de sacrifice de la persona que se construit aussi, à son rythme, le Moi de l'analyste .Comment rencontrer son propre arc  ? En intégrant sa blessure, car tant que la blessure n'est pas intégrée, on est porteur de l'arc de l'autre, jamais du sien.

     

    L'anima n'est pas en place chez Philoctète. On est en présence d'effets d'anima. L'anima est très tournante, et ce qui est caractéristique des effets d'anima, c'est l'impossibilité où l'on se trouve d'identifier le symbole.

     

    Et pourquoi ?

     

    Il n'y a pas de mère.

     

    La relation à la mère n'est pas du tout travaillée. Et ce qui me faisait dire qu'Ulysse était une femme, c'est quand même la sacrée histoire de Pénélope. Elle est curieuse cette femme qui passe son temps à faire et défaire et à l'attendre !  Singulière histoire, en ce qu'elle sera ensuite, faire et défaire, vécue singulièrement par chacun, au moins au plan de l'impression. Et souvent, en dépit de l'impression de ce mouvement incessant de faire et défaire, quelque chose est en train de se construire malgré soi, mais dans un tout autre rapport au temps.

     

    Quelle est votre définition du  "symbole" ?

     

    Je n'en ai pas. Je n'en ai pas, au besoin je les emprunte. Je suis encore dans cette image  que le symbole, c'est l'autre moitié de l'anneau, élément qui permet la reconnaissance. Or, ce que je retiens du symbole, c'est simplement ceci, au cœur du problème de la reconnaissance : celui qui détient la moitié de l'anneau est de cela conscient, et on parle ici de reconnaissance, de ce qui va permettre de se retrouver avec l'autre moitié. En fait, il y aurait quelque chose à mon sens de quelque peu inexact ou réducteur. Car celui qui, dans la symbolisation, détient le signe - et non le symbole qui est dans la réunion- ignore lui-même qu'il est porteur de ce signe.

     

    C'est une chose bien connue pendant les guerres, et  je vous parlerai des signes utilisés lors de la dernière guerre mondiale par un réseau de résistance qui ne fut pas démantelé. Les personnes y avaient un signe de reconnaissance au plan conscient. Ils avaient un point de rendez vous qui pour ce réseau là était toujours un cabinet dentaire. Auparavant, à Londres, acte  perdu au beau milieu d'un ensemble de contrôles médicaux, l'empreinte radiographiée d'une dent avait été relevée. Cette empreinte était ensuite  convoyée par un autre chemin au cabinet dentaire du rendez-vous. La personne ignorait que le signe de reconnaissance conscient avec lequel elle se présentait n'était nullement par quoi elle serait réellement identifiée.  Ignoré de celui qui en porte le signe, le symbole qui réunit,  donne droit et légitime la rencontre, était justement là la correspondance des deux radiographies. Ce qui permettait, si quelqu'un s'était substitué au véritable agent et avait obtenu de lui sous la contrainte l'aveu du signe,  de nier toute valeur au signe conscient et de prendre les mesures qui s'imposaient, donc  de procéder à une funeste anesthésie.

     

    Le symbole unit les signes aux deux versants : conscient et inconscient .et la symbolisation, on ne la sait qu'après.

     

    C'est après, lorsque la personne a passé avec succès le cap et l'épreuve initiatique, car il s'agit bien de cela, qu'elle est accueillie et reconnue, et qu'éventuellement elle pourra savoir qu'il n'est pas nécessaire qu'une symbolisation soit nécessairement une prise de conscience. En effet, la notion de prise de conscience est souvent présentée dans la tradition de vulga-risation analytique comme passant toujours par le verbe et par la saisie intellectuelle. C'est loin d'être la seule voie, il y a une symbolisation possible par le corps, et l'on pourrait aller jusqu'à oser affirmer que les symboles empruntent les mêmes voies que les symptômes. Et c'est d'ailleurs ce qui nous fait avancer, ce non-savoir du symbole défiant toutes les tentatives de démantèlement de l'œuvre. Sauf à être pervers avec son propre inconscient.

     

    Et de toute façon, un mythe peut toujours en cacher un autre. A partir du moment où l'on prétend avoir trouvé son propre mythe, gare !

     

    L'analyse peut-elle supprimer la créativité ?

     

    La créativité vraie n'a rien à craindre de la confrontation analytique. Mais il est certain qu'une créativité peut être aussi de l'ordre de la blessure. Toutefois le discours sur la créativité parlée en termes de perte et de gain est tenu ici d'un lieu très particulier, puisque c'est celui d'une  prétention à une relation analytique. Or il faudrait entendre ceux qui ne vont pas sur le divan et dont la manière non seulement de créer, et le fait que leur créativité a une reconnaissance sociale les dispense de faire une demande dans la mesure où ils ne sont pas confrontés au problème de la reconnaissance. Mais d'un autre côté ils sont reconnus dans la mesure où ce qu'ils font parle déjà de manière sinon universelle, du moins quelque peu collective : ils ne sont pas enfermés dans leur seul imaginaire, et on est déjà dans l'ordre de la symbolisation. Mais il est sûr qu'on peut prendre le problème selon deux cercles différents. Premier discours : la personne n'a pas besoin d'analyse puisque de toute façon elle est reconnue. Second discours : ce n'est pas pour rien justement qu'elle est reconnue ! Les choses sont déjà en elle de l'ordre d'une communication, et non pas d'un enfermement.

     

    Et même si l'œuvre est une projection, cette projection entre en résonance avec d'autres projections et communique. Or la souffrance de la projection, c'est lorsqu'elle ne rencontre personne, et qu'il y a alors une demande à l'autre, l'autre qui est l'analyste, de recevoir ces projections que les autres ne reçoivent pas.

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