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  • En Quête De Mythanalyse
    Hervé Fischer (a cura di)

    M@gm@ vol.12 n.3 Settembre-Dicembre 2014

    ÉTHIQUES & MYTHES DE LA CRÉATION : DU MYSTÈRE DES PIERRES À LA PÊCHE ERRANTE


    Sylvie Dallet

    sylvie.dallet@uvsq.fr
    Professeur des universités (Arts, Paris Est), directrice de recherches au Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaine (Université Versailles ST-Quentin) a fondée et dirigé le Centre d’Études et de Recherche Pierre Schaeffer de 1995 à 2003 et l’Institut Charles Cros en 2001, dont elle est aujourd’hui présidente. Responsable du programme de recherche international « Éthiques de la Création » depuis 2008.

    Lourd comme une pierre, fluide comme l’eau, chatoyant comme la vie, le mythe a une vie concrète et spirituelle protéiforme. On peut le « regarder de tous côtés sans déception », selon la définition du peintre chinois Liu Dan [1] donne à propos des rochers qu’il aime à dessiner. Les êtres humains, lancés par un pertuis de chair dans le chaos du monde, acceptent leurs destins collectifs par ces formes en résonnance. Naître au monde, c’est refuser et accepter tout à la fois des contractions et des contradictions mythiques, qui vont nourrir aléatoirement une substance intime. Le nu, le naître et la force des choses sont extraordinairement liés aux lieux de vie et au pouvoir des transformations.


    Sisyphe escaladant la Tour de Babel - Hervé Fischer (acrylique sur toile, 178 x 178 cm, 2014)


    Répondre à la question “qui invente les mythes?” est donc un exercice difficile : la vérité est la seule chose que l’on peut inventer, sera ma première réponse.  Le mythe répond à une nécessité explicative du monde et sa forme concrète participe d’une énigme pérenne du vivant.  L’alchimiste chinois Ge Hong nous renvoie, du IVème siècle avant notre ère, cette confidence qui reste une référence de la pensée orientale: « le mystère est l’ancêtre de la nature » [2]. Je me permets de compléter cette sentence par une perspective que l’écrivain franco-russe Romain Gary formule ainsi : « la vie est jeune ». De fait, chacun porte en bandoulière un arc-en-ciel des mythes familiers, qui sont les outils, les béquilles, ou les voiles derrière lesquels les métamorphoses adviennent.

    La métamorphose biologique

    Le besoin mythique qui accompagne les mutations personnelles, sociétales ou environnementales opère indirectement dans les registres spirituels, religieux et philosophiques, mais concerne en profondeur les aspects concrets et organiques de l’humanité. Après Bachelard, Jacques Monod, cité par le biologiste Georges Chapouthier, signale que la vie des  idées accompagne les transformations de la matière. L’être humain est éminemment plastique qui, comme le rappelle Georges Chapouthier, peut, par des chocs violents, mourir ou muter: pour exemple, sortir du coma avec une conscience artistique ou spirituelle enrichie n’est pas rare. L’être qui éprouve cette métamorphose a formé sa chrysalide,  et, sur le modèle de la chenille, est devenu papillon [3]. Darwin suggère aussi, observant l’évolution des espèces, la possibilité d’un sixième sens, rare, qui comprenne globalement les interactions et les matrices. « Sur les épaules de Darwin » [4], le grand public redécouvre depuis quelques années la merveilleuse intelligence des fourmis et des abeilles, ces sociétés féminines inventives, autonomes et  dansantes, dans une relation complexe de démocratie, de migrations alternées et de parthénogénèse.

    Cependant, si les chocs, les crises et les bouleversements intimes précèdent toujours le processus mythique, celui-ci n’en demeure pas moins une construction mentale du temps,  un récit pollinisateur qui se transmet au travers des générations pour les faire réfléchir et les instruire, parfois les endoctriner. La verbalisation du trauma forge le processus mythique, qui a une source (le martyre de Jésus au [5] Golgotha par exemple), un développement plus ou moins long et une chute, c’est à dire une fin d’écho. On devrait comparer cette structure mythique à la structure de la note de musique, telle que Schaeffer la décrit à partir des expériences du Studio d’Essai : la note offre une attaque, un corps vibrant, une chute. Le mythe est une note vibrante qui s’entremêle avec d’autres sonorités. Pour aller plus loin dans l’analogie artistique, on peut appliquer au mythe le questionnement du chef-d’œuvre, sur lequel j’ai longuement travaillé grâce aux questions des étudiants : qu’est ce qui fait un chef-d’œuvre, comment le reconnaître, comment l’accepter comme tel. Le chef-d’œuvre est une arborescence incarnée : une œuvre qui passe le temps, qui déborde de son espace de création qui permet donc d’alimenter l’imaginaire et les sens, au-delà de l’époque qui l’a fait naître. La destination du chef-d’œuvre n’est donc pas l’expression des savoirs faire d’un artisan parvenu au sommet de son art (tel que le concevait le Moyen-Âge jusqu’à une époque très récente), mais d’être le réservoir d’émerveillements et d’interprétations, consubstantielles à sa conception. Nous sommes dans le vieux débat des bâtisseurs de cathédrales.


    « La petite SIM »
    Sylvie Dallet, acrylique sur kraft naturel, 14,8 x21 cm, crée en avril 2014 en illustration des débuts, des espoirs et des aventures de la Société Internationale de Mythanalyse

    Dans cette création mémorielle que le public consacre, que celle-ci soit artistique, littéraire ou philosophique, les potentialités sont à l’œuvre dès l’origine, comme si l’artiste y avait figuré sur  dans le motif ou dans la ligne, la porte ouverte sur le champ des métamorphoses. La peinture magistrale témoigne d’une maîtrise qui va au-delà du savoir-faire la main et de la technique. Elle laisse le rêve installer ses espaces de pensée: issu d’une communion  mystérieuse avec la matière ou d’une transe créatrice, sa flèche continue à cheminer dans le regard de celui qui l’admire. Nous avons connaissance de ces peintures magnifiques qui, d’Afrique à l’Australie réitèrent par les poudres et le dessin, un savoir ancien où les bêtes et les hommes se parlaient. Ce sont les Grecs qui ont assigné aux seuls humains le pouvoir du langage, rompant avec une tradition millénaire. Aujourd’hui, les entomologistes évoquent « le langage dansé » des abeilles les ornithologues, les communications trillées des oiseaux. On soupçonne que le tabou de l’inceste ne serait qu’un mode de l’espèce, celle que nous partageons avec les grands singes. Chaque évolution collective s’inscrit dans un mémoire de chair et de paysage, avec ses repentances, ses boucles de rétroaction et ses avant-gardes.

    L’accouchement primitif

    En ce qui concerne le mythe, qui demeure un chef-d’œuvre du récit mémoriel, la narration concrète délivre une beauté du sens : ses mots-images, ses images « flammes » pour reprendre le terme de Camus, convoquent les sensations colorées, les vibrations intimes que l’énigme renforce.

    Ce qu’il faut remarquer et ce que l’on doit expliquer très précisément, c’est l’équilibre des personnages et de la structure qui s’avance dans son apparente simplicité organique: le  récit des origines convoque régulièrement le féminin et le masculin, situe le règne végétal et animal dans la création et guide la quête en sa résolution (ou sa non résolution) par l’apparition d’objets façonnés devenus magiques, c’est-à-dire doués d’autonomie et de traversée des mondes. Par ailleurs, les mythes accordent une place prépondérante au vivant dans sa dynamique de contraction et d’expulsion du sens, dans quelque chose qui s’apparente à un accouchement. Cet accouchement rapide, cette expulsion d’un être en devenir est, à mon avis, la matrice de la fascination mythique. Les communautés (ou les civilisations) qui gardent en mémoire le rôle du féminin dans la fondation me semblent destinées à évoluer dans des potentialités ouvertes: signalons au-delà de la louve romaine, le rôle matriciel d’Elyssa-Didon, la « reine errante phénicienne » qui fonda Carthage sur le découpage d’une peau de bœuf. Toute l’histoire de la Tunisie porte en elle cette décision inventive qui intervient en deçà de l’islam.

    Il existe en allemand un préfixe qui résume la part mythique : UR est l’équivalent français du plus ancien. On évoque l’arrière-grand-mère sous le nom de URgrossmutter, jusqu’à remonter de son ancêtre personnel à la Terre-mère. Cette conjonction de sons et de sens  me rappelle de façon lancinante le mythe de la cité d’Ur, aux origines de la civilisation mésopotamienne et des migrations occidentales qui ont suivi la fondation de la ville. Dans la genèse du mythe, tout se conjugue dans un multiple qui se féconde: souvenirs originels, mimesis inspirées de textes de références, jeux de mots issus de consciences autonomes, rebelles aux normalisations que le politique impose. Dans l’UR, humus fondamental de l’aventure rétrospective, mystérieusement symbolisée par la Vierge noire, empreinte de l’Isis sombre, la pensée est à l’œuvre dans sa part analogique, celle qui découvre l’énigme et y trouve le plaisir de la solution, par une forme spiralée qui conduit à un ailleurs. La Norne Urd, signifie ce « qui doit advenir » : la source d’Urd jouxte le chêne fondateur d’Yggdrasil de la mythologie nordique. Le mythe est un levier qui convoque à la fois l’organique et le magique. La conscience du feu qui relie, de l’eau qui irrigue, de la terre qui repose et germine, fait partie de ce jeu de la materia prima dont Bachelard a merveilleusement décrit les prémisses.

    L’ethnologue et préhistorien Jean-Loïc Le Quellec, nous a exposé, lors d’un colloque, sa collecte mise au point grâce à l’informatique: recenser les mythes primordiaux dans leurs occurrences mondiales. Grâce à son logiciel, il a pu esquisser une cartographie heuristique assez précise des mythes de fondation du monde. Cette géographie primordiale s’édifie à l’échelle des continents dans le temps et l’espace, par des zones d’expression et de migrations. Selon ses relevés, trois conceptions du monde coexistent, dans une logique d’ancienneté : le plongeon dans la matière primordiale des eaux, l’éclatement d’un œuf originel et les facéties inspirées d’un animal trickser. Le pétrissage anthropomorphe divin apparait plus tardivement au travers des textes tels que la Bible ou le Popol vuh maya. Plus l’espèce humaine s’approche d’une construction sociétale, plus elle incrémente la relation directe entre une manipulation divine et la mission humaine, régulièrement aérée par des anges en mission. Dans les religions du Livre, les animaux sont généralement exclus, même si les Chrétiens les réintroduisent, sous la forme simplifiée du bœuf, de l’âne, du lion, de l’aigle, de l’agneau, du poisson ou de la colombe. Trois interprétations du monde se succèdent, à qui se rajoute un quatrième éclairage, qui pour certains, devient une véritable colonne indépendante, corsetée dans des interprétations sous contrôle. Or, dans le dialogue que le mythe entretient avec son public, le récit des origines stimule au plus profond de l’humain le secret de l’empathie, cet « au bonheur des choses » qui sourd au-delà du langage.

    De la machine et du simulacre, outils magiques

    Sans aller dans le détail, Pierre Schaeffer, a mis dans les années 1950 le doigt sur la question lancinante des siècles à venir,  à savoir « le pouvoir créateur de la machine ». Il consacre plusieurs articles [6] à ce nouveau venu de l’Histoire mythique, le simulacre qui, par aventure, pourrait être (perception technicienne cybernétique, corrélée à la récente pensée « Trans humaniste ») le cinquième chaînon créateur. Cependant, après avoir retourné la question et l’avoir flairée sur toutes les coutures, il en conclut, qu’il n’y a pas de pouvoir créateur de la machine, même si les matériaux et les outils influencent nos vies en profondeur. Les travaux du philosophe Gilbert Simondon [7] vont dans le même sens, à ceci près que cet analyste du « réalisme des relations » axe plutôt sa démonstration sur le bâtiment et l’architecture, la mémoire des pierres et des ouvrages d’art utiles (aqueducs, pylônes, bâtis industriels).

    Le cinquième pilier de la machine est un artefact qui fait claudiquer tout l’édifice… à moins qu’il le remette en route. On doit situer dans le corpus des savoirs chamaniques cette relation entre le handicap et la création. Le handicap est créateur, dans le dépassement que la personne opère pour le comprendre et le dépasser. Héphaïstos, le forgeron grec, était boiteux, de même lors du combat biblique de Jacob avec l’Ange, ce dernier marque à la jambe Jacob d’une blessure symbolique. Dans une démarche analogue à celle du « guérisseur blessé » décrit par Mircea Eliade, les trognes et les vignes, arbres que l’homme a taillés à façon (travail du bois, chauffage des fours, vin, etc.…), témoignent en profondeur d’une alliance de l’humain avec les règnes animaux et végétaux. Noé, à pieds secs, taille une liane et la consacre vigne après avoir protégé les animaux dans l’arche. Le proverbe occitan transpose ce désir du façonnage céleste à la pierre d’angle : « mon Dieu, vous qui êtes bon maçon, taillez moi à votre façon ». Les pierres d’église sont des pierres taillées…

    Forger, tisser, filer, tresser, tailler, manipuler l’argile sont les premiers éléments de la transformation artisane de la matière et suscitent donc des mythes forts.   Jorge Luis Borges utilise la jolie formule de « détisser les mailles de pierre » [8] qui permet à Thésée de revenir auprès d’Ariane. Au-delà des Parques grecques et des Nornes scandinaves, la collecte patiente de collectionneurs et ethnologues nous transmet les bribes françaises de ces Évangiles des quenouilles, transmis par les femmes depuis le Moyen Age et sans doute en deçà. Si l’attention historique se faisait honnêtement, on saurait décrypter le rôle analogue des tisserandes [9] dans la construction des églises et des cathédrales et partant, recomposer cette geste collective du travail créateur, dont l’artiste et théoricien Joseph Beuys s’est fait dans les années 1970, le chantre européen. Dans son roman historique, l’italienne Marta Morazzoni revisite la tapisserie de Bayeux au travers lu travail minutieux de trois cent brodeuses : les voix du passé se mêlent aux écrits contemporains de l’historien d’art Ruskin qui commente en écho le travail des cathédrales par La Bible d’Amiens (1885) [10]. Tisser, filer traduisent le symbolique des confins du vivant et du mourir. Comprendre par le détail le frémissement entier de la broderie forme un obscur hommage aux savoirs immémoriaux des araignées et des abeilles.

    L’audiovisuel et l’informatique appartiennent à la catégorie des objets-créatures magiques, tels la tabatière du soldat, la quenouille de la fée, le sésame d’Ali Baba, le chien aux yeux de soucoupe, les sabots de fer… Cependant, dans ces allers retours nécessaires entre l’outil et l’humain, il semble que les mythes du passé abondent de rameaux et de fleurs d’or, de baguettes sourcières et de chevaux psychopompes, issus du vivant transfiguré. Plus tard, le passage se fait entre les mondes par des cavernes et des réduits étroits où la gestation s’opère et s’évade. L’allégorie de la caverne de Platon, passée au rang de mythe philosophique, reprend cette prescience mimétique du voyageur  chamanique, qui, empreint d’un « sentiment océanique » indescriptible, peine à en traduire le sens à ses compères (ou ses patients) enchainés. Parti vers la lumière grâce à des « ustensiles » qui sont sans doute des objets résonnants (tambours, hochets…), le chamane parvient ébloui au monde du dehors qui reste, analogiquement, le seuil de la transformation de l’enfant à naitre [11].

    À moins que dans une option résolument optimiste… tout ceci ne soit la matrice d’une science numérique ancienne, qui porte en elle le secret du mouvement humain : les trois causes forment une dynamique, la quatrième construit sa maison et le cinquième correspond au chemin de l’être. Le mythe campe où il veut- tente de nomade, tipi ancestral, cabane intime. Les religions du Livre, issues du nomadisme, ne font pas exception à cette implicite. Le cinquième témoin forme une chambre d’écho et réorganise le virtuel des imaginaires. Léonard de Vinci a représenté dans un cercle parfait cet homme aux cinq sens et cinq directions, prélude à la roue des connaissances.

    Je choisis à dessein le nom de Schaeffer pour répondre à la question posée par Fischer, dans la mesure où, parmi les expérimentateurs mythiques, le berger répond au pêcheur [12]. Schaeffer a été au sens plein, le « berger » vigilant des multiples groupes de recherche (musiciens, techniciens, imagiers et critiques) qu’il a suscités durant une vie professionnelle d’ingénieur-chercheur à la Radio-Télévision française. De cet observatoire, il a organisé systématiquement des expérimentations créatives multidimensionnelles, particulièrement ce Service de la Recherche qui a duré de 1960 à 1973. Dans des configurations délibérément mouvantes, le polytechnicien expérimentait sur différents filtres: sa pensée  circule entre son Journal intime, ses publications et les destins des équipes qu’il a suscitées. A la recherche d’une musique concrète relève en 1952 très exactement d’un discours mythique, de même son traité sur les arts infirmes qui distinguait en 1942 la radio aveugle du cinéma muet. En 1972, il publie deux tomes des Machines à communiquer et aborde son troisième volume inachevé que les ateliers de la mythanalyse pourrait bien remettre sur le métier : les Monstres du quaternaire. Ces monstres sont des chimères modernes, liés à la fascination  égotiste de l’homme pour ses outils…  Dans un bond quantitatif issu de la pensée de Descartes, pour qui Schaeffer ressentait de la défiance, le monde édifie d’énormes miroirs, dans une démesure spéculaire qui peut égarer les plus fragiles. Dans une réflexion critique, Spinoza, attentif à la persévérance de l’être sous l’écorce de l’âge, interroge, quand à lui, les potentialités « arc en ciel » de l’humanité. La pensée mythique s’édifie sur des briques divergentes… restrictives ou libératoires.

    L’origine des mythes, une tautologie ?

    Avoir distingué Schaeffer comme un penseur mythique ne suppose pas que nous connaissions l’origine des mythes qui conditionnent nos parcours. Quelques événements portés par des contextes préparés et des personnes inspirées, réinventent les départs. Prise dans son entièreté, la Révolution française est un mythe, dans ses potentialités et ses soubresauts à venir : elle fonde, pour les historiens, l’époque contemporaine et rend licite les rêves égalitaires de plusieurs générations d’hommes et de femmes. Des personnalités aussi différentes que Michelet, Marx, sont, au miroir dynamique de la Révolution française, des visionnaires mythiques, de même que Fourier et l’extraordinaire publication anarchiste, socialiste et romantique du XIXème siècle. Victor Hugo et Georges Sand peuvent également prétendre à ce titre, dans une  pensée mythique, qui se veut poétiquement et politiquement active. Je dirais aussi, au risque de choquer les puristes du style, que  comme l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, le romancier brésilien fasciné par la France, Paulo Coelho, appartient à cette galerie passionnée de témoins mythiques.  Pour résumer, l’Histoire dans sa complexité accouche des personnalités inspirées et créatives hors du commun que l’Antiquité a pu qualifier de prophètes ou de nabis [13], un terme requalifié au XIXème siècle, par un courant pictural symboliste (Sérusier, Denis, Bonnard et leurs amis). Le principe de réalité revient en force au travers ces figures : il faut aller mal pour se saisir des mythes et les faire fructifier. Médée et Jean Valjean, au regard de l’ancêtre mésopotamien Gilgamesh, sont des figures sombres mais conscientes.

    Le mythe est donc une table de la loi qu’il faut préserver ou casser. Schaeffer, homme de l’image et du son, se faisait commenter Merleau-Ponty et Husserl dont il pressentait la proximité philosophique. Cependant, lesté d’une profonde culture biblique, il affectionnait  le mythe de Tobie, guérisseur de sa lignée. Tobie, revenu du pays de Ninive, guérit avec le fiel du poisson Sara tourmentée par un démon et son propre père aveuglé par une fiente d’oiseau. Ce petit mythe ancien rapporté en grec, singulier dans l’Ancien Testament (car associé à un archange guérisseur, l’archange Raphaël)  éclaire un pan de la personnalité d’un Schaeffer, traducteur inspiré du conflit mythique contemporain, qui oppose l’humain aux outils de sa démesure. Les philosophes de « métier »  n’ont pour l’instant par fait la corrélation entre l’inventivité de Schaeffer et la complexité de sa formation : scientifique, laïque, mystique et chrétienne à la fois.

    Revenons aux principes d’écho que les médias permettent à une grande échelle. Nous passons des pierres mythiques, rocs inspirés ou tables de la Loi, aux éclats brisés du miroir, tel que le cinéaste Orson Welles les mettait en scène dans La dame de Shanghai (1940).

    Le miroir diffracté contre la pierre : n’est-ce pas un des jeux de vertige les plus anciens  qui refait surface dans notre inconscient ? Les simulacres ne sont-ils pas devenus l’implicite majeur des mythes contemporains ? Cette question reste au centre de tout enseignement, épistémologie et prospective institutionnelle. Elle repose la question de l’éthique, du « bon usage » des mythes et donc, de leur inconscient collectif.

    Dans l’Occident marié à la responsabilité individuelle, nous barbotons dans un bain de désinences mythiques, d’autant plus que l’équilibre de nos repères républicains (l’alliance des religions du Livre et de la laïcité démocratique) reçoit les contrecoups de la crise économique et du développement des informations internationales. Tout arrive par les médias dans un déséquilibre qui peine à se réguler : emprunts « toxiques », information boursouflée, jeux de cirque récurrents. Cependant, le chaos informatif me semble a priori bénéfique pour la comparaison des valeurs, dans la mesure où sa forme est, grosso modo, de type égalitaire. Pour autant, la cruauté n’y est plus valorisée comme dans la Rome d’antan. Le sang fascine moins que les circuits informatiques. Le virtuel a supplanté la violence physique, du moins pour nos sociétés industrielles. L’addiction a changé de mœurs et les tyrans dissimulent leurs fastes derrière la transparence des discours. La nymphe Pandora, celle qui, dans mythologie grecque, « avait-tous-les-dons » a libéré les potentialités de la réalisation humaine, mais a laissé dans la mystérieuse boite noire, l’espérance, cette Antigone. Le film homonyme d’Albert Lewin, restitue en 1951 une Pandora riche et désœuvrée qui choisit la rédemption par le temps présent de l’amour : son courage libère de « l’éternel retour » le fantôme du Hollandais volant. Le grand Pan est de retour.

    Des récits fleurissent, des espèces dépérissent ?

    Notre époque témoigne de ce paradoxe : les récits des origines fleurissent et s’entrecroisent alors que la diversité des espèces vivantes diminue. La terre s’appauvrit au gré de la croissance exponentielle des outils de clonage. Selon des chercheurs de Stanford, nous sommes à l’aube d’une sixième destruction rapide des espèces, dont l’imaginaire des dinosaures englués dans la vase et mangés par des sauriens géants a constitué une forte étape : pour celle que nous vivons, régulièrement souillée par des empoisonnements chimiques, dix-sept pour cent des oiseaux vont disparaître à la suite de la quasi-totalité des petits insectes des champs : les cigales, les abeilles et les grillons, anonymes insectes combattants des Chinois ou figure moraliste du «Jiminy Cricket » des Européens. Les apiculteurs deviennent les véritables sages de notre civilisation, luttant contre le fléau qui menace l’humanité. Ils n’ont de cesse d’implanter des ruches sur l’Opéra de Paris, dans les cimetières, chez des particuliers : le miel n’est-il pas nourriture des dieux ? Les larmes des bouleaux, la sève des pins, les fleurs de champs redeviennent nourritures délectables et guérisseuses. Avec le retour de la Nature comme protagoniste de nos vies, le regard revient sur le minuscule : insectes, bactéries, écorces... un mycélium créateur dont l’odeur chaude de pourriture rassure le nez et l’intellect par son extraordinaire pouvoir de dissémination et de régénération. C’est au-delà de l’alliance panthéiste avec le paysage, l’appel au Sauvage qui exprime la densité de sa survie.

    À la mesure de ses effets spéciaux, le cinéma américain se nourrit des scénarios catastrophes jusqu’au sommet sauveteur, que constitue la nouvelle alliance de Noé. Trois temps ponctuent la destruction et le sauvetage des espèces : l’épisode du Déluge, l’arche échouée au sommet du mont Ararat et l’alliance de la vigne qui s’élabore après la décrue des eaux. Analogiquement, tous les animaux/humains  ne seront pas sauvés des eaux torrentielles de Monsanto et de ses épigones, mais les plus authentiques seront sauvés. Cependant, l’époque brouille les frontières entre les mammifères, vertébrés et invertébrés, dans une nouvelle complémentarité du vivant: le neuropsychiatre Boris Cyrulnik ne définit-il pas son travail comme une « éthologie des hommes « ? Deux ouvrages peuvent symboliser les interprétations dont jouissent  Noé et sa famille: un livre illustré pour enfants, L’arche de Noé, édité en 1934 d’après le « célèbre film de Walt Disney, Silly symphonies » (sic) [14] et La véritable histoire de l’arche de Noé, un roman caustique écrit par Catherine David (2011). Le premier, ouvrage, illustré dans une veine humoriste, subordonne l’aventure à la bonhomie d’un Noé qui fait travailler hommes et bêtes sous une même férule. Le second, somptueusement rédigé dans sa colère, situe la fracture entre les hommes et les animaux à partir de la double violence que Sem, le scientifique froid, et Cham, la brute enragée, exercèrent envers les réfugiés de l’Arche. Les femmes, somnambules ou perverses, firent le reste.

    Les mythes peuvent être comme naguère les Indiens d’Amérique, à la fois concrètement décimés dans la langue des peuples et renaissant par les imagiers industrialisés du cinéma. Nous retrouvons de fait, sans oser se l’avouer, des formes d’emprise connues (et éprouvées) du colonialisme que l’historien Marc Ferro a décrites au travers du Livre noir du colonialisme [15]. Comme en Haïti, comme au Maghreb, comme naguère au Canada, la culture s’est diffusée par de multiples canaux, parfois conflictuels mais réellement diversifiés. Si les peuples meurent, les cultures survivent, comme si les paroles données comme des graines par les grands Indiens (Sitting Bull et la danse des spectres, Geronimo le visionnaire apache, Sequoia l’inventeur de l’alphabet indien…) ont nourri les oiseaux voyageurs des grands mythes. En hommage à l’inventeur de du premier alphabet indien, les Américains ont baptisé leur grand arbre rouge, du nom du bienfaiteur Cherokee…

    Faire et entendre

    Loin d’être un noyau, le mythe fonctionne donc plutôt un oignon que l’on pèle jusqu’au germe, puis que l’on hache menu pour donner de la chaleur à des quotidiens fades : une sorte de « sel de la vie » de la psyché humaine. Dans  cette réceptivité accordée aux environnements multiples, « l’âme des mots » (qu’il soit koto dama pour la pensée shintô ou le langage des oiseaux iranien) apporte un souffle supplémentaire aux récits des origines. Ce “levier sémantique” vibratoire est un des ingrédients de la force du récit. Si le mythe est une force concrète de parole et de sens, celle-ci se réifie sans cesse, dans une chrysalide éthique, parce qu’il correspond à des intensités de choix. En double artisan de la musique concrète et des Arts-Relais (relais et transformateurs des autres arts- arts premiers, majeurs et mineurs selon les nomenclatures),  Pierre Schaeffer avait synthétisé cette problématique par le binôme « faire et entendre », qui revêt une dimension analogue au cercle  meut le yin et le yang. Cette alliance éthique des principes (actif et réceptif) de l’attention humaine, demeure  le programme premier de la conjugaison prométhéenne et orphique, qui lui semblait le destin des créateurs  d’analogies et d’anamorphoses.  Les cathédrales du son et de l’image…

    De fait, par l’audiovisuel et l’informatique, tout circule en abondance au royaume des images composées et des sons bruts : les mythes foisonnent, qu’ils soient exhumés de la mémoire du monde ou passés au tamis des réalités virtuelles. Ces formes différentes peuvent-elles  dialoguer à des niveaux différents de notre réel ? Le cinéma puise ses eaux mêlées  aussi bien dans le « trésor des contes » que dans les mythes relatifs aux grandes religions. À l’inverse, des communautés entières refusent ces confrontations par l’effroi ou la violence, circonscrites à des mythes fossiles. Le psychiatre Tobie Nathan s’est attaché à délivrer la parole des migrants africains et à faire advenir au travers les blocages, des forces neuves d’assimilation mythiques. Les cinéastes anglo-américains issus de l’émigration des années 1930 aux années 1950, Albert Lewin, William Dieterlé ou Franck Borzage ont merveilleusement assimilé le chemin mythique. Cependant, et quelles qu’en soient les incompréhensions et les captations de sens réciproques, il nous semble important de réfléchir sur les processus qui lient éthiques et mythes de la création,  dans des traits d’union que les cinémas, tels que ceux des États-Unis ou de l’Iran contemporain réactivent au travers leurs fictions.  Si le cinéma américain a créé le genre du western et s’offre en solide pilier de la Bible, il a également rêvé aux noces  thérapeutiques du roi Cadmos et de la nymphe Harmonie, ce repas d’alliance où, pour la dernière fois de l’Antiquité gréco-romaine, les dieux et les mortels festoyèrent ensemble. Borzage réinvente  dans Strange Cargo (1940), un nouvel évangile : le chef des mutins va sauver de la noyade l’étrange prisonnier qu’il subodore être une émanation du Christ. Celui-ci, humain et divin mêlé, n’est pas venu pour se sauver seul : il a besoin des hommes pour une rédemption commune… Le spirituel dompte le rebelle pour édifier une nouvelle alliance basée sur la compassion.

    Il me semble que nous devons, après les beautés d’une Nature, sérieusement malmenée depuis les Trente Glorieuses, valoriser des mythes de convivialité, qui sont la traduction concrète des valeurs collectives et de partage qui construisent l’humanité. Les descriptifs des banquets populaires doivent retenir notre attention : les Noces de Cana, les banquets celtes, les noces de Cadmos et d’Harmonie, les fêtes où mortels et elfes se séduisent, jusqu’à cette phrase d’Hölderlin que j’ai souvent citée : « rien ne se construit sans amis ni banquets préparés »… La nourriture partagée est un moment mythique européen, des temps les plus anciens jusqu’à la consécration du « repas français » par l’UNESCO dans sa partie conviviale. La nourriture, après Carême ou Ramadan, suppose nécessairement un repas partagé. Il me semble que la multiplication des « banquets républicains » et les « repas de voisins » vont dans le même sens mythique. Dans cette dimension de nourrissage et du commerce de la conversation, les femmes ont la part belle : Jésus réunit dans la préparation du repas, les deux présences complémentaires de Marthe et de Marie, celle qui travaille en cuisine et celle qui écoute l’enseignement en amour. Gargantua, le héros populaire restauré par Rabelais, est un conteur et un mangeur. Si le philosophe Michel Onfray circonscrit l’invention des boissons chaudes et thérapeutiques,  à une géographie mythique (le chocolat pour l’Amérique du sud, le café pour l’Afrique et le thé pour l’Asie), on peut, par soustraction, assigner à l’Europe la transformation des fruits en alcools, dans cette légère ivresse de la transe et de la démesure.

    Les énergies des paysages animés

    La question du Pêcheur touche également à la recomposition mythique contemporaine autour du paysage-ogre et du chemin du Petit Poucet. La Nature demeure un questionnement mythique fondamental : réactivation des mythes du Déluge, du shintoïsme, du chamanisme et de ses variantes taoïstes, des réflexions américaines issues des œuvres de Thoreau, de Jack London ou de Rick Bass [16]. En parallèle de ces considérations relatives à la préservation de la Nature, Terre-mère (madre selva) de nos existences, se développe des considérations de restauration de l’harmonie entre les espèces, prélude à une coexistence pacifique et complémentaire de nos activités et de nos croyances. De fait l’animisme, qui est une forme fondamentale du polythéisme, revient en force, avec des textes littéraires pétris de merveilleux, tels ceux de l’anglaise Élisabeth Goudge. Dieu, cette substance inconnue, s’incarne de plus en plus dans les principes vitaux de la coopération, de l’énergie et de la transcendance. Les fées, les gnomes et les lutins, anciens cousins des lucioles pasoliniennes, pointent à nouveaux leurs bonnets dans les herbes des champs et sous la ramure des chênes. Tout ce « peuple menu » trotte de façon créative dans nos circuits d’enfance, ceux de la forêt des contes.

    D ‘Auvergne, non loin de la source de Mélusine, fée commune aux Bretons et au Foréziens, un poète contemporain, Joël Vernet, écrit ceci « On laisse nos vieilles peaux très loin -Et des milliers de sources affluent dans notre sang », tandis que l’écrivain mythologue Henri Pourrat note : « Faire cas de la sève, c’est admettre que toute nature est toujours plus riche qu’on aurait cru, plus pleine de choses latentes et repliées, plus vivante pour tout dire». Cet afflux de sources différentes, ces mutations vibratoires, ce livre des métamorphoses qu’offre la Nature traduit l’ancien parcours chamanique, dont les récits mythiques, à l’aube des correspondances artistiques, travaille les énergies latentes des sources et des sèves.

    Les villes canadiennes et américaines ont, plus rapidement que les cités européennes encombrées de monuments, traduit ce besoin de Nature pacifiée, par des parcs, où les biches et écureuils  (parfois de plus gros prédateurs) côtoient les passants. En Occident, la Nature en ville faite de guérilla gardening, de graines offertes et de toitures végétalisées est en marche… Time is honey,  tel était le slogan d’une manifestation récente devant la Bourse de Paris.  Les cultures protestantes ne sont pas isolées sur cette nouvelle conscience. Les villes d’Asie, telle l’immense Singapour, aménagent les poumons verts des cités. Seuls pour l’instant, les espaces liés à l’Islam, naguère pionniers dans l’imaginaire du jardin, semblent peu touchés par cette restauration écologique, malgré la patiente élaboration communautaire des circuits millénaires d’irrigation au Maghreb, à Battir en Palestine, en Mésopotamie. Les valeurs portées par les grandes cités industrielles, malgré l’ébauche  vivifiante que Jule Verne imaginait, au travers des 500 millions de la Bégum ou Les Indes noires, sont confrontées à une pollution des sols et des âmes. L’architecture, cette respiration mythique de l’habitat et du vivre ensemble, croise les éléments de l’éthique, de l’esthétique et de la volonté politique.

    Les hérauts de la transition

    Les héros ont des avatars, les hérauts des gonfanons. Le Moyen-Âge revient au galop de ses images. Le sociologue Christian Gatard, dans son livre Mythologies du futur (2014), dresse le portrait savoureux des prochains hérauts mythiques (issus du passage au numérique) dont les « psychobrates ». Le philosophe Peter Sloterdijk pense le siècle à venir comme un siècle d’acrobates et recentre la pensée des « mortels » de la religion chrétienne à des « êtres natals » où les possibilités se révèlent à la force du courage. Je voudrais, pour ma part, essayer de comprendre la valeur des objets que les héros manipulent.

    Faisons l’hypothèse que les héros à venir soient des rebelles, avatars inspirés du capitaine Nemo, des Amazones, des Bagaudes, des Sans-Culottes, des Baladins et des Guérisseurs… Espérons que les multiples Noés, Noémies et Noélies du XXIème siècle sauront construire des arches solides dans les gouffres des fonds-vautour de la cyberpiraterie. Des communautés de montagnards et de marins patients doivent proposer leurs parcours d’équilibre, au-delà de la dangereuse mystique de la “mobilisation infinite” décrite par Sloterdijk. Les sapeurs et les pontonniers symboliques retrouvent la faveur des séries télévisées, après le maelstrom du vaisseau spatial Entreprise, “vagabonds des étoiles” du Grand Jeu au du Grand Tout [17]. Les mutations sociétales construisent le pearltree de partages spirituels utopiques: pour élément de comparaison médiéval, en 1250, les émirs musulmans choisirent une femme à la tête du sultanat, qui se fit respecter des Chrétiens de la VIIème croisade et accepter des franciscains. Cette sultane exceptionnelle, connue par son surnom Chagarat al Durr, qui signifie « l’Arbre des perles », était sans doute issue des populations razziées qui fournirent les Mamelouks à l’Islam.

    Nous le savons, les mythes fossiles peuvent être paresseux, destructeurs et cannibales: il n’est pas loin le temps où les Perses faisaient fouetter la mer qui leur avait refusé la victoire contre les Grecs. Se « voiler la face » n’est-elle pas la traduction intime du “fouetter la mer”? Pour construire cette destinée contemporaine que nous espérons équilibrée, nous préférons des outils autonomes de la joie en crue: un calfat solide, un gouvernail, une boussole, dynamisés par des chants de résistance et de travail, tels ceux qu’Orphée composait dans ses luttes contre l’illusion (les sirènes, les enfers). Non loin en esprit de la « pêche errante » qui me semble apparié aux Terres neuves, Christian Gatard évoque la charrue du premier plan du tableau de Bruegel qui néglige, au loin, la chute d’Icare. Un laboureur travaille sa direction avec attention, tandis que dans une crique baignée de soleil, chute un être que nul ne peut sauver de la noyade. Loin du Déluge, nous contemplons ce tableau, où la persévérance laborieuse est valorisée: le paysage traduit la symbiose de l’alliance du paysan avec la terre et tandis qu’Icare aux ailes brûlées, se perd dans une mer d’indifférence.

    Passée la rapide époque de l’abstraction, les arts reviennent depuis une dizaine d’années à la figuration symbolique qui fut leur première fonction. De même, les entreprises commencent à comprendre la beauté suggestive des mots: “Renard de feu” et “Oiseau bleu” ont réinvesti la Toile après la grosse Pomme ou le Treecloud, comme naguère, le Cabaret de la Belle femme ou l’Auberge du Lion Couronné. Les manifestations culturelles n’avaient pas jeté leurs habits de lumière: La Pensée sauvage, les Arts ForeZtiers, La Belle étoile, Le café Grenouille, les Nombril du Monde… pour ne parler que des mots-lucioles que je connais. Les mythes enfantés dans la douleur sont des enfants objets de soin, adoptés hors des frontières de leur conception.

    Pour une épistémologie des frontières

    Chevauchant aux côtés d’une mythanalyse chatoyante qui va picorer (et digérer) les formes mythiques du monde entier, une épistémologie étoilée peut se déployer, attentives aux cycles du vivant, à la transdisciplinarité scientifique et aux écoutes expressives des arts. Edouard Glissant  et les penseurs caraïbes, tels Louise Bennett ou Alejo Carpentier, ont pratiqué des syncrétismes subtils grâce à l’imaginaire conjoint des langues mêlées des territoires de la naissance : la revue Présence africaine a exploré cette voie dès 1947 avec des penseurs tels que Jacques Roumain, Aimé Césaire, ou Jacques Stephen Alexis. La double (voire la triple) culture des auteurs et des artistes est le terreau où la charrue mythique peut avancer. J’avais lancé, par l’Institut Charles Cros, cette réflexion en 2008, pour premier test d’une recherche collective intitulée Éthiques de la Création. Six ans plus tard, le tissu apparaît soyeux et solide et l’on peut commencer à en examiner l’endroit, l’envers et la couleur. Comme aux Terre-neuvas, la pêche errante, aléatoire, intuitive mais constante dans l’effort, a donné du poisson. Si poisson guérit, nous dit le souvenir de Tobie, l’esprit peut démultiplier les poissons des invités de la Table, nous rappelle le message christique.

    En terme de potentiel, il n’est pas interdit de penser que la France, au carrefour d’influences religieuses et culturelles internationales de par son histoire et la géographie, devienne, dans le futur, une sorte de “plate-forme” mythique expérimentale, mue par des flux migratoires multiculturels croissants. Cette France au carrefour du monde peut tout autant, redevenir la partie “grecque” de la planétarisation mythique qui s’annonce : celle qui, comme en musique, donne le d’une culture techniciste « romanisée », fait de routes, d’aqueducs, de migrations forcées et d’organisations militaro-administratives. De fait, les religions migrent comme les humains: si certains rouleaux de la Torah sont déposées sur l’ile tunisienne de Djerba depuis des siècles, de précieuses reliques de Bouddha sont arrivées en grand secret, via la Thaïlande, le 27 septembre 2009 et consacrées dans la Grande pagode de Vincennes qui est, pour le moment, sous la responsabilité tibétaine. En France, renouant avec la perspective taoïste primitive de la coexistence nécessaire des choses, la juxtaposition des croyances atteint désormais une véritable apogée, protégée par la loi républicaine et l’utopie de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. C’est sans doute ce qui peut aujourd’hui suggérer de fonder, de France,  une mythocritique du réel,  attentive aux potentialités créatrices des migrations.

    Cependant, et pour répondre à l’interrogation posée, je ne pense pas que l’on puisse, pour l’instant, créer cette « discipline » dans une université française, malgré le sens profond de la mission des « universaux » que cette institution doit transmettre. L’université, prioritairement axée sur le brassage commun des informations  est en train d’écorner la liberté de ses recherches associatives, sous couvert de l’innovation et de la concurrence. La mythanalyse est une science du questionnement (du transfert) et de la résurgence, c’est-à-dire relève d’une épistémologie transdisciplinaire en générosité: la philosophie, la littérature comparée, l’art [18] et la sociologie sont les disciplines légitimes de cette interrogation, pour peu qu’elles coopèrent réellement. En épistémologie, l’appauvrissement des récits (formes et fonds) est une interrogation aussi lancinante que la raréfaction des espèces. Depuis le XIXème siècle, les sociétés civiles tentent de répondre par la forme des romans au cloisonnement inhibé des disciplines. De même, le cinéma, cette expression extraordinaire des récits animés nait au monde la même année que la psychanalyse, non loin en esprit, de la révolution symboliste.

    L’histoire culturelle fourmille de ces représentations que l’historien peine à relier au passé : discipline de conquête du présent proche, elle se définit encore prioritairement dans les conflits liés au politique et à l’économique. L’étude des mythes s’inscrit aussi dans le dialogue intime qui relie l’ethnologie et l’anthropologie, disciplines complémentaires et parfois rivales : la dialectique chatoyante des « savoirs de frontières  [19]» s’exprime là où le chercheur, au maquis de ses savoirs pénètre dans un domaine aux frontières floues,  entre le ciel, les bras des rivières et les îles flottantes du raisonnement. Totem et Tabou de Freud (1913) fonde la psychanalyse en confluence profonde avec un mythe d’effroi. La notion même de mythe reste ambivalente dans l’imaginaire public, dans la mesure où on insiste plus souvent sur des interprétations restrictives, que sur leur flux pollinisateur. L’Histoire en tant que science épistémologique-mère, de par la complexité des questions qu’elle formule dans le temps et l’espace, semble, pour l’époque contemporaine, singulièrement pauvre dans le domaine des mythes, généralement remplacés par le terme de « représentations » et assignées sur des découpages spatio-temporels précis. Ulysse est le prototype de l’historien-géographe qui ne s’attarde jamais sur les lieux. À l’inverse, le mythe singulier de la princesse tyrienne, Europe, enlevée par Zeus, signifie symboliquement la dissémination phénicienne sur la Méditerranée. Europe, migrante forcée est la sœur de Cadmos, inventeur de l’alphabet… Elissa-Didon, fille malmenée du roi tyrien mythique Mutto, reconnait ici l’écho de son destin.

    Les expressions mythiques sont des domaines où il est facile de figer un enseignement en dogmes et, de fait, l’affadir dans une sorte de parthénogénèse culturelle. Mettre la charrue avant les bœufs, l’arbre avant la forêt, sont des attitudes qui ne peuvent qu’égarer de l’objet, cette connaissance des circuits de pensée concrets. La démultiplication des mythes en des fragments spéculaires suscite également, comme le croyaient les Romains, des fantômes errants, dont les mânes insatisfaites  et courroucées, participent de la schizophrénie sociétale [20]. Les failles et les fêlures de la psyché, peuvent, dans le meilleur des cas, se sublimer dans des créations. L’appel au symbolisme dans sa multiplicité est, pour les psychiatres, l’expression d’une pensée cohérente : l’autiste, muré ans sa forteresse vide, ne peut participer de la forêt des symboles et la perçoit comme le Macbeth de Shakespeare, comme une mort qui s’avance. Apprendre à regarder la pierre sur toutes ses occurrences, dans sa beauté originelle, signifie d’accepter plusieurs structures associées à l’intuition de chercheurs vagabonds. Et ne pas jeter cette première pierre trop vite…

    Le lézard et l’éthique

    Plutôt que d’envisager une transmission codée dans une université fragilisée par des baronnies qui refusent de se réinventer, la mythanalyse, ce terme qui s’adosse à la mythologie,  peut se faufiler, en  épistémologie furtive, lézard habile dans le mur chauffé des savoirs. La francophonie vagabonde permet d’explorer un champ plus large, dans des formes d’expression contrastées et créatives. J’avais proposé lors du séminaire Éthiques & mythes de la Création, placé sous le signe de la confrontation des discours, le thème iconoclaste des « prospectives et impensés de l’innovation » avec les participations croisées de Laura Vittoria, d’André Loechel, Philippe Durance, Thierry Gaudin et Albert David. La confrontation courtoise de ces pensées a été un régal, car ils parlaient en égalité d’écoute, de quelque chose que je flaire pour être, dans nos sociétés en crise, un mythe d’asphyxie, de vertige et de compétition : l’innovation. L’introduction que j’avais faite de cette séance rappelait l’apport exceptionnel de Roger Caillois, dans sa théorie des jeux… et sa passion des pierres.

    Qui, d’emblée, rassemble ces attitudes ? L’enfance, dans ses apprentissages hybrides, la confiance dans son aptitude infinie à la liberté, pour autant que son environnement ne soit pas trop destructeur. Les imaginaires égyptiens, pour peu que l’on les connaisse vraiment, valorisaient les dieux dans leurs métamorphoses animales. À l’inverse, la plupart des scènes rapportées par la mythologie gréco-latine sont des scènes de rapt qui aboutissent à des métamorphoses cruelles : écorce, taureau blanc, cerf, la liste est longue. La pensée classique grecque a interverti la relation sacrée de l’humain aux dieux et aux animaux. Dans une philosophie différente, l’esprit saint du christianisme, demeure symbolisé par l’oiseau ; au Moyen-Âge roman, les chapiteaux des églises portent encore les curieuses figures d’hommes sangliers ou de femmes sirènes. Il me semble important de penser le déploiement des mythes contemporains sur les thèmes de l’inversion historique programmée et de ses exceptions. Après les différentes pratiques psychanalytiques, une expérience dérivée de l’hypnose, la sophrologie fondée par le psychiatre colombien Caycedo en 1960, s’appuie très explicitement sur le rôle des mythes et des contes, favorisant le travail du subconscient au conscient. Le patient développe à bas bruit le mythe qui le guide  et tisse par petites touches recomposées le nouveau fil d’Ariane qui le sortira du labyrinthe où ses peurs l’entrainent. Cette modification progressive de la projection du patient s’effectue dans le pari d’éveil d’une « énergie de la conscience » qui, en 2010, évalue une « cyberconscience phronique » liée à la prégnance syllabique.

    Pascal Quignard, traducteur inspiré d’une pensée mythique écrit dans Les Âmes errantes, cette phrase qui relie le Jadis au futur : « une chance qui s’est déjà produite, s’approche de nouveau de nous en silence ». Je voudrais conclure cette rapide approche épistémologique par des remarques de traverse : si la société se nourrit de mythes portatifs, « tirés du sac », la forme de la gibecière varie selon les personnes et les peuples. Nous le savons, au-delà des structures anthropologiques de l’imaginaire précisées par Gilbert Durand, les mythes grecs continuent à nous fasciner car ils décrivent des solutions individuelles aux ruses impunies de la démesure humaine. Les histoires grecques métisses sont littéralement tissées de l’expérience du pouvoir. À l’inverse, les mythes agraires ont une morale plus dure, le châtiment du coupable s’exprime par une expulsion collective. Les décisions de responsabilité offrent encore d’autres approches : mission, ressenti, voie, tao, dharma…termes qui portent leur regard sur la place de l’être humain dans son environnement que celui-ci soit Nature, famille, fonction, croyance, tout ou partie.

    Ce qui fait le mythe, c’est aussi (ou d’abord) son espace d’échange intellectuel, éthique et sensible, qui varie selon les espaces culturels. Nous sommes dans une passe étonnante d’adoption réciproque des cultures d’Est en Ouest. La pensée ne peut qu’en être bouleversée, dans sa relation feuilletée à l’impermanence et au progrès.  Les formes mythiques varient  au gré des regards historiques : les replis des grottes rupestres dévoilent des corps de femmes enceintes, tandis que la Vierge Marie, à quelques exceptions près, stylisée comme femme-mère, est rarement sculptée en parturiente ou petite fille. Les mythes ont des lignes de parcours autant que des origines.

    Si l’aventure de Tobie reste obscure, la mission de Noé caracole en renommée. Lao Tse, le fondateur mythique du Tao, revient par le Livre de Poche, tandis que les pèlerinages reprennent, associés à des quêtes de délivrance. Il est donc logique que l’armature mythologique classique craque et que ses flancs ouvrent des voies nouvelles aux alpinistes critiques. Babel offre des variables d’ajustement, l’arbre du monde reverdit et le culte de la Terre-mère se prolonge dans le culte de la Vierge Marie. Le cyborg porte en lui la malédiction du Golem juif et du Titan grec, même si, comme Hervé Fischer, l’analyse notre société favorise la figure du CyberProméthée. En résistance, Le sentiment océanique, cette extase décrite en Orient comme en Occident, s’étaye au travers du mythe d’Orphée des travaux de Spinoza et des intuitions de Romain Rolland. Le remembrement d’Osiris puise son origine dans une pensée chamanique partagée de la Sibérie à l’Amérique latine, traduite au miroir des mythes d’Antée  et de Sisyphe, jusques aux créatures animées du cinéaste japonais Miyazaki. De fait, dans leur diversité imaginative, les dispositifs mythiques explorent les processus de démembrement, métamorphoses, migrations, hybridations, amours et transfiguration. L’eau fluide de ces récits joue en continuité avec l’énigme des pierres, dans des formes qui se ressourcent mutuellement, sur des dispositifs attentifs d’irrigation mis en œuvre par des hommes.  Transmettre ces formes suppose une attention à soi et aux autres, dans des chemins de traverses qui nous différencient toujours des machines que nous avons inventées.

    Empreintes et résonnances

    Je voudrais aborder ce dernier chapitre par la double porte des empreintes et des résonnances, dont les mythes sont une expression fondamentale, avec la création artistique.  Notre vie est modelée d’empreintes familiales, sociétales, expérimentales dont nous n’avons, pas toujours conscience. Le processus mythique doit satisfaire à cette empreinte de l’individu ou de la communauté adoptante et entre en résonnance avec des dispositifs essentiels de son développement, de ses orientations et de ses projections. Le mythe participe d’une identité qui se pense. Si nous prenons l’hypothèse que l’être humain est le fruit de multiples rameaux de l’évolution des espèces, il porte, de facto, en lui les empreintes de ces espèces, plus ou moins en latence, plus ou moins en sympathie. Ces formes mythiques sont difficiles à décrire, mais on peut penser que le totémisme d’ancêtres arbres ou animaux, correspond à cette remarque. À l’occasion de bouleversements personnels ou sociétaux (puisque le mythe est à son origine un bouleversement), des apparentements  subtils vont se révéler, traduits par des sensibilités à certaines essences ou esprits animaux tel que le médecin européen, Paracelse avait essayé de l’expliquer à la fin du XVème siècle. L’Asie et l’Amérique latine restent très sensibles à ces énergies latentes, tandis que l’Occident qui a travaillé à détacher l’esprit du ressenti corporel, y revient avec prudence.

    En ce qui concerne les mythes historiques, telle que par exemple la Révolution française, la fonction imaginaire, remémorative, prospective et créatrice des individus va se remettre en action, dans des références conjuguées à l’inattendu. Cette ouverture à l’inconnu va permettre une respiration nouvelle de la pense collective : la prise de la Bastille (1789) et la mort de Louis XVI (1793) restent les deux événements majeurs de l’imaginaire révolutionnaire, expulsant des formes historiques nouvelles.

    Pour être plus explicite sur les correspondances en résonnance des mythes, j’ai cité plus avant l’épisode  biblique de Tobie qui guérit doublement sa cousine lointaine de Ninive et son père resté au pays. Cette histoire obscure entre en résonnance inversée avec l’histoire de Thésée, d’Ariane et du retour  tragique auprès d’Égée. L’histoire biblique se construit autour de la guérison par la compassion : le héros hébreu Tobie délivre sa cousine des démons qui font mourir ses maris et sauve, en retour,  son père de la cécité, grâce a fiel d’un poisson. A l’inverse, le héros grec Thésée, parti délivrer les jeunes gens du cannibalisme d’un monstre  (= démon) tapi au fond d’un labyrinthe, abandonne la salvatrice Ariane et précipite, par négligence, son père Égée dans la noyade. Cette mort cependant, donne un nom à la mer, fondant la culpabilité. Les objets magiques sont également inversés ou transposés : le labyrinthe ou le monstre exerce sa férocité peut se comparer à la cécité de Tobit, père de Tobie et la folie de sa cousine. Médée, seconde épouse d’Égée repart en Colchide, pays de la Toison d’or que  dérobera Jason. Mais Ariane demeure, unie à jamais à Dyonisios, dieu errant du vin et du théâtre.  Le monde qui vient suscite  en symétrie des Minotaures  mais aussi des Arianes.

    Prenons maintenant le cas d’Orphée qui offre au récit mythique une longue suite de rebondissements : le chanteur  accompagne Jason lors de la quête de la Toison d’or et va donc croiser Médée en Colchide après avoir résisté aux Sirènes ; il accomplit un voyage initiatique vers les Enfers après la mort d’Eurydice; abusé par le simulacre infernal, il choisit de vivre en héros civilisateur, donnant aux hommes la gamme après la lyre, son corps périssant  sous les attaques furieuses des Ménades, tandis que son esprit continue à chanter. Nous pouvons croiser ce mythe avec l’errance d’Ulysse, mais surtout  le faire résonner avec ceux d’Europe et de Cadmos, les Phéniciens célèbres de la civilisation méditerranéenne. Orphée, Europe, Cadmos de Thèbes, Elissa de Carthage, une géographie subtile de la civilisation errante et maritime circule entre de ces archipels mythiques qui suggère le renouveau de la pensée en archipels.

    La mythanalyse ne peut donc pas se séparer des potentiels d’une mythologie comparative, associée à des ancrages ou des dérivations spécifiques qui restent des mines d’information.  Les mythes qui décrivent les origines du monde, les ramifications du vivant se complètent des multiples incarnations politiques et religieuses qui ponctuent l’histoire de l’humanité. La recherche ne biologie démontre que l’être humain, à l’inverse des animaux, reste très longtemps « non fini », traversé comme un adolescent de pulsions contradictoires et donc capable d’acquisitions tout le long de sa vie : science, sagesse, effroi… ces acquisitions sont multiple nature. Ce « singe néoténique » et immature, tel que le décrit Georges Chapouthier possède un formidable atout qui le différencie cependant des animaux : il a la mémoire et plus encore la mémoire de l’espèce et des outils qu’il n’a pas lui-même fabriqués. Il a besoin de s’entourer de garanties et de références. Cette longue mémoire confuse ou identifiée qu’Internet brasse à sa façon remue en profondeur son histoire mythique.

    Sans l’aide de la science contemporaine, les religions anciennes ont structuré à la manière ces informations : Odin le borgne est accompagné de ses deux indispensables corbeaux, « pensée » (ou « esprit ») et « mémoire » qui, chaque jour à l’aube parcourent les neuf mondes, pour revenir 24 heure plus tard, murmurer à l’oreille d’Odin. On n’est pas très loin des formes de l’esprit et de la physique quantique. De l’autre côté de la Méditerranée, cette mer des mythes, le Osiris est démembré, comme Orphée,  par des divinités jalouses. Isis son amour replace ensemble les morceaux, fondant sa quête au travers du remembrement chamanique de son époux. Quelque part, le chef sanglant d’Orphée continue à chanter dans nos mémoires, tandis qu’à l’aube du christianisme, les martyrs Denis et Julien se promènent avec leurs têtes, signalant, par cette pérégrination inspirée, les sources vives des anciens Celtes.  Aux côtés des géographies archipélagiques, des cycles de résurrection par l’eau rejoignent la fluidité des écritures, les eaux mêlées des identités et cette empreinte mythique qui n’en finit pas de bouillonner des profondeurs.  Rabelais a relancé le jeu des perles errantes : « je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes »…

    Notes

    [1] Citation issue du livre La musique des pierres, roman documentaire de Nicolas Idier, Gallimard NRF,  2014.

    [2] Cf. La Dissection des mystères du bois des rêves.  Les œuvres (tel le Traité des Divins immortels, Gallimard, 1999) de Ge Hong, un des maitres du taoïsme et  on en trouve, aux hasards du Net, des extraits.

    [3] Georges Chapouthier, « Les métamorphoses de l’artiste après un coma », MSHPN, Appareil n°13, dossier  « Trauma et création » sous la direction de Jean-Louis Déotte & Germain Roesz, été 2014.

    [4] Jean Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin, je t’offrirai des spectacles admirables, LLL (Les Liens qui libèrent)/France Inter, 2013.

    [5] Pierre Schaeffer, À la recherche d’une musique concrète, Le Seuil, 1952.

    [6] Publiés aux éditions Richard-Masse qui accompagnerons Schaeffer durant toute son élaboration théorique. Cf. Sylvie Dallet (et Sophie Brunet), Pierre Schaeffer, itinéraires d’un chercheur, éditions du Centre d’Etudes et de Recherche Pierre Schaeffer, 2007, Montreuil.

    [7] Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, 1958.

    [8] Jorge Luis Borges, Le fil de la fableNeuf essais sur Dante, 1982.

    [9] À signaler toute fois le très bel ouvrage de Marta Morazzoni,  L’invention de la vérité, Actes Sud, traduction Marguerite Pozzoli, 2009.

    [10] La Bible d’Amiens est la somme du critique d’art et écrivain britannique John Ruskin (1817-1900), traduite en français par Marcel Proust.

    [11] Communication de Sylvie Dallet « Genres et gens de la Caverne », in colloque université Cergy-Pontoise, décembre 2013, Actes à paraître (coordination Rémi Astruc).

    [12] En allemand, Schaeffer signifie berger et Fischer, pêcheur.

    [13] « Celui qui est ravi en extase » ou « annonciateur »,  traduction de l’hébreu.

    [14] Catherine David, La véritable histoire de l’arche de Noé, Les Editions du Poulpe, 2011 et L’Arche de Noé, textes de Magdeleine de Genestroux, dessins de Félix Lorioux, « Mickey présente… », Hachette, 1934.

    [15] Marc Ferro (direc.)Le Livre noir du colonialisme,  Pluriel, 2004. Dont article de Sylvie Dallet « Filmer les colonies, filtrer le colonialisme ».

    [16]  Les témoignages littéraires du regain de la nature foisonnent tel, en Italie, Mario Rigoni Stern ou dans les pays baltes et nordiques,  une littérature « forestière ».

    [17]  Le chapitre « vagabonds des étoiles »  est issus du titre du roman  de Jack London,  cf. S.Dallet & Émile Noël (direc.) Les territoires du sentiment océanique, Collection Éthiques de la Création/institut Charles Cros/Harmattan, 2012.

    [18] Parmi lesquels les travaux pionniers de l’allemand Aby Warburg sur la conception et la migration des mythèmes et les écrits complémentaire du français Georges Didi-Huberman.

    [19] Cf. sur les transmissions croisées Sylvie Dallet & Elie Yazbek (dir.), Savoirs de Frontières (Images, Oralités, Textes), préface Kenneth White, collection « Éthiques de la Création », Institut Charles Cros/Harmattan, 2013.

    [20] Jacques Grangé en a tiré un thriller,  La forêt des Mânes, Poche, 2011.



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