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  • En Quête De Mythanalyse
    Hervé Fischer (sous la direction de)

    M@gm@ vol.12 n.3 Septembre-Décembre 2014

    COMMENT LE MONDE CONTEMPORAIN ADAPTE LES DEUX MYTHES FONDATEURS DE L’HUMANITÉ ?


    Georges Lewi

    lewi.georges@gmail.com
    Mythologue, Spécialiste des marques. Consultant, conférencier, écrivain (www.mythologicorp.com).

    Si le mythe, tant de fois décrié dans une civilisation qui se veut rationnelle et « scientifique » n’a pas disparu, c’est qu’il a une utilité.

    Pour les mythologues,  le mythe répond au besoin pathologique de l’homme de « trouver sa place », dans la société, dans sa famille, dans sa patrie, dans sa fratrie, dans son boulot…dans son environnement proche ou lointain.

    Car le mythe exprime toujours le rapport complexe entre l’individu et la société dans laquelle il vit. Icare ou comment fuir l’enfermement du dédale de la société grecque ? Prométhée ou comment échapper à une condition humaine bien misérable dans un univers si puissant ? Antigone ou comment faire ce qu’on croit être bon face à une cité qui le réprouve ? Iphigénie ou comment échapper à son destin de fille sacrifiée au nom de toutes les causes ?...


    www.mythologicorp.com

    L’être humain, « un roseau, le plus faible de la nature, mais un roseau pensant » [1], a besoin de trouver sa place dans une quête quasi maladive. Le petit être humain a autant besoin d’une boussole que d’un biberon. Pour comprendre sa position, il faut lui observer autour de lui pour se fondre au décor environnant ou s’en échapper, s’y opposer, voire le nier.

    Voilà à quoi servent les mythes : à identifier une de ces oppositions binaires pour pouvoir enfin trouver sa place : dedans/dehors, montagne/vallée, homme/femme, mort/vivant, dominant/dominé, Artiste/artisan…

    Les scénaristes d’Hollywood et d’ailleurs l’ont bien compris. Le « storytelling » est toujours la fabrique narrative d’un ennemi, d’une opposition bien tranchée, d’une autre géographie ou d’une histoire en lutte. Le combat de Catch de Roland Barthes [2] a fait des petits chez Disney, chez Besson, chez Spielberg, et dorénavant auprès des scénaristes de jeux vidéo en ligne.

    Depuis toujours, le combat mythique, celui de la narration originelle est celui de l’individu contre la société, du singulier contre le pluriel qui, lui aussi, cherche à se défendre.  L’un, éphémère, a la volonté farouche d’exister avant de mourir, de laisser une trace, l’autre possède l’arme absolue de la durée.

    Deux mythes permanents sont réactivés « hic et nunc »

    Nous savons qu’une société, comme un individu s’affirment sur un double humus : la pérennité et la nouveauté, la continuité et la rupture. Il n’existat pas de classes sociales, même les plus  « rétrogrades » qui n’affirmât sa volonté d’aller de l’avant, comme il n’existe pas de groupes révolutionnaires qui ne fasse référence à certaines valeurs du passé. En sont témoins les drapeaux des nations. Celui de la France révolutionnaire, de la république française  est composé de trois couleurs : le blanc de la royauté pour le passé, le rouge pour le sang versé dans l’espoir d’un avenir meilleur, et le bleu, couleur de  la réalité, de la ville de Paris, de la centralité géographique et symbolique de cette nouvelle république. Le roi, le peuple, la ville.

    Ainsi, au travers des trois couleurs du drapeau, on peut écrire la mythologie française : le respect de la tradition, la volonté d’en découdre contre les injustices et l’affirmation d’un jacobinisme centralisateur du pays.

    Dans la foulée des années 1790, emportées par l’illusion bonapartiste, le drapeau italien est construit sur la même logique : le blanc de la foi, le rouge du sang révolutionnaire et le vert des uniformes des soldats lombards pour la primauté de Milan.

    La plupart des états ont construit leur identité visible sur ce triptyque : ce qu’ils acceptent de l’héritage du passé, ce qu’ils espèrent des luttes et celui qu’ils considèrent comme le « boss » du moment.

    Au travers de la lutte de ces deux mythes, celui du pluriel et celui du singulier, c’est le combat entre deux notions du temps qui est évoqué et développé. Deux mythes s’opposent, tous deux a à la charnière de deux mondes, deux mythes fondateurs du passage du temps des dieux au temps des hommes.

    Deux mythes nous transpercent depuis la nuit des temps

  • L’histoire collective : le mythe de l’âge d’or 

  • Le mythe de l’âge d’or nous est dévoilé dans un texte écrit, pour la première fois sous ce nom  dans la Théogonie (Naissance des dieux) et dans Les Travaux et les Jours , deux textes d’Hésiode du huitième siècle av. J.-C.

    L'âge d'or est le nom de la période qui suit immédiatement la création de l'homme. Il évoque un temps d'innocence, de justice, d'abondance et de bonheur. La terre produit les richesses de la nature sans besoin d’être travaillée, les hommes vivent presque éternellement et meurent sans souffrir…

    Le paradis de la Bible peut s’apparenter à la narration de cette période : nourriture, boisson abondantes, un fleuve d’or rempli d’insouciance, ni maladie, ni mort…

    Dans la littérature,  l’âge d'or symbolisera le passé prospère et mythique. Et ensuite, pour les plus nostalgiques et dans les périodes troublées, l'âge d'or deviendra  la promesse du retour d’un monde paradisiaque.

    Du repli identitaire sur soi, de la montée des partis populistes partout en Europe et dans le monde, du renouveau des aspects les plus « originels » des religions…tout fait appel au retour du mythe d’l’âge d’or. Le marketing n’y échappe pas avec la mode du « revival » du retour du look rétro, de la relance de « vieilles marques ». Citroën relance la DS, Renault, l’Alpine, l’Oréal P’tit Dop, Banania et Solex repartent à l’assaut de leurs marchés  comme le « savon de Marseille » ou l’ « eau écarlate »…

    L’avenir devient pour certains groupes sociaux l’espérance de retrouver le passé et « sa pureté originelle ». L’âge d’or n’a jamais existé sauf dans les mythologies collectives mais il peut permettre de resserrer les rangs autour des identités perdues.
    A chaque élection, en Europe, les partis nationalistes, plus ou moins racistes et xénophobes accroissent leurs scores.

    Comment peut-on à l’âge numérique, rêver d’un avenir qui n’a jamais historiquement existé, alors même que naissent chaque jour des découvertes qui font exploser les vieux schémas ?

    Le mythe d’un « éternel retour », celui d’un âge d’or s’appuie intuitivement chez les humains, sur l’observation de la nature et de ses « cycles de vie ». Or l’observation nous montre que la nature fonctionne selon des cycles réguliers : cycles de la reproduction, cycles biologiques, cycles des climats, etc. Un cycle suppose une évolution circulaire et non linéaire. C’est bien cette représentation du temps qui a dominé les cultures traditionnelles. Le temps ne fonctionnait pas, pour les anciens, en suivant une ligne mais un cercle. Les « vieilles » sociétés ont souvent développé, à partir de cette observation, une vision cyclique du monde et de son avenir.

  • L’histoire individuelle : le mythe du bovarysme
  • Pourtant, la nature même de l’individu, mortel,  est dominée par l’image de la ligne. L’être humain née, grandit, devient fort, s’affaiblit et meurt. Sans possibilité de retour au point de départ, sans développement cyclique qui lui permettrait de « repartir tout neuf » après un coup de vieux. Nous envisageons notre avenir en propulsion, dans la visée d’une intention, comme une sorte de flèche dirigée vers un but. Entre nous-même et le futur c’est à une ligne à laquelle nous pensons. Il semble naturel à l’individu de penser que le temps est une ligne qui va vers le futur et ne revient pas en arrière. Comme il semble logique à une société ancienne de penser son histoire comme celle d’un cycle avec ses hauts et ses bas, ses progrès et ses retours en arrière, ses périodes sombres et ses espoirs de retrouver les moments fastes qui auraient jadis existé.

    Le XXIe siècle avec l’avènement de l’âge numérique se trouve à l’aube d’une révolution d’une ampleur unique, qui restera dans l’Histoire comme un changement de paradigme majeur pour l’humanité. L’avènement d’une économie de la connaissance, qui est aussi une économie du numérique, va bouleverser plus profondément et durablement la société que ne l’ont fait la révolution néolithique ou les deux révolutions industrielles. Pour la première fois, cela se prépare au même moment en Occident et en Orient, en Afrique comme en Amérique latine…

    Les groupes, une fois constitués, revisitent sans cesse leur âge d’or comme ciment de leur identité. Mais l’individualisme est l’affirmation du pouvoir d’échapper au groupe, c’est-à-dire au passé. Fût-il glorieux ! Car plus un passé est reconnu comme héroïque, plus il va étouffer l’individu et borner son espace de liberté.

    Depuis la période romantique (ou des romantismes), période de naissance de l’individu et affirmation, entre autres, de l’identité féminine, le mythe de l’individu s’exprime dans celui du bovarysme, le « pouvoir de se croire autre qu’on est » [3]. L’individu va chercher à échapper à son destin jusque-là dirigé, assumé et imposé par la collectivité.

    Le nom de « Bovarysme » vient du nom de l’héroïne de Flaubert [4], Emma Bovary à qui il semblait « que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur ». La génération des réseaux sociaux, que l’on nomme « digital et social natives » a choisi son terrain de jeu individuel : « le pouvoir de se croire autre qu’elle n’est » au travers de ses avatars sur la toile, de ses pseudos ou de sa vie « storytellée ». Cette vie virtuelle se substitue à la vie réelle, elle ne la duplique pas, elle représente pour certains la vie. La seule.

    Le Bovarysme, asymétrie individuelle du mythe de l’âge d’or est l’expression de ce nouveau romantisme, des nouvelles illusions affirmant qu’un autre monde est possible, qu’il existe déjà et que chacun va pouvoir « déguster sa minute de gloire ».

    Cette génération, les Y et les Z, développe ses « cool brands », ses marques qui ne se prennent pas au sérieux dont les égéries sont Apple et Google, l’entreprise préférée des étudiants. Celle-ci affirme dans sa profession de foi  (point 9. Sous la titre Notre philosophie. Dix repères clés: « On peut être sérieux sans porter de cravate : nos fondateurs ont bâti Google autour d’une idée simple : le travail doit représenter un défi, et le défi doit être amusant. Pour stimuler la créativité, nous pensons culture d’entreprise. Mais cette culture ne se résume pas aux lampes magma et aux balles rebondissantes. Nous mettons l’accent sur les réalisations d’équipe et sur la fierté de l’accomplissement individuel qui contribue à notre réussite générale ».

    Le nouveau singulier n’aurait-il, donc, plus aucun rapport avec l’ancien pluriel, guindé et considérant le travail comme une « torture » ? Le nouveau singulier, ce néoromantisme est individuel mais il se vit en communautés plurielles.

    Rencontre contemporaine entre ces deux mythes fondateurs ?

    Le combat de catch est bien engagé :d’un côté, « la nostalgie des origines  et le mythe de l’éternel retour» [5] comme approche collective, de l’autre le refus des rites, des règles et des notions du passé comme approche individuelle (pas toujours individualiste) La rencontre est-elle possible. Est-elle souhaitable ? Or lorsqu’elle eut lieu, dans le passé, ce fut, à chaque fois, catastrophique.

    Lorsque le groupe et l’individu regardent de conserve vers le passé, ils construisent la définition même du fascisme.

    « Niant l'individu au nom de la masse incarnée dans un chef providentiel, le fascisme embrigade les groupes sociaux (jeunesse, milices) et justifie la violence d'État menée contre les opposants assimilés à des ennemis intérieurs, l'unité de la nation devant dépasser et résoudre les antagonismes des classes sociales dans un parti unique » [6].

    En revanche, lorsque société et individu perdent toute référence au passé, ils construisent ensemble un nouveau totalitarisme. C’est ce que le monde a constaté au XXe siècle avec le Léninisme appliqué avec zèle dans l’ex empire de l’URSS et pouvant se résumer par la phrase « Du passé, faisons table rase » [7].

    Mais, c’est bien dans cette tension entre le mythe collectif de l’âge d’or et le mythe individuel de l’utopie, de la folle espérance que s’invente un monde nouveau et que se trouve l’équilibre entre la société et ses individus.

    La survie de l’humanité en dépend.

    Le plus beau lègue de la mythologie antique à notre société contemporaine réside sans doute dans cette histoire de Pandore, la première et la plus belle des femmes dit-on, qui laissa échapper tous les maux mais retint pour « son » homme,  l’espoir, l’espérance folle de chaque génération pour inventer une nouvelle forme de vie.

    Le monde contemporain y est préparé. Les questions fusent : « Comment travailler ensemble ? Comment vivre avec moins ? Qui est capable d’inventer les formes de vie de  demain ? Avec qui ? Pour qui ? Comment développer un mode d’organisation, en rhizome moins égotique. Il ne s’agit pas du travail d’un créateur qui met en valeur l’expression de son génie mais d’une réflexion politique, économique, esthétique au service de chaque individu de la communauté.

    Pour la première fois, la globalisation des idées, des pensées, des échanges va peut-être permettre à l’humanité de créer un point de rencontre entre le mythe de l’âge d’or le mythe du bovarysme. Le singulier apporte quotidiennement sur le web sa pierre à l’édifice du pluriel qui le lui rend bien. Espérons que partout dans le monde ce mode interactif de relation entre la ligne et le cercle se poursuivra sans trop de ruptures.

    Alors notre monde sera sauvé, une fois de plus ! Par la bonne lecture des mythes fondateurs de l’humanité.

    Notes

    [1] Blaise pascal. Pensées. Garnier-Flammarion. 1993.

    [2] Roland Barthes. Mythologies. Point Essai. Le Seuil. 1970.

    [3] Jules de Gaultier. Revue d'Histoire Littéraire de la France.
    Le Bovarysme. La psychologie dans l’oeuvre de Flaubert. 1892.

    [4] Gustave Flaubert. Madame Bovary. 1857.

    [5] Mircea Eliade. Le mythe de l’éternel retour ; Folio. Gallimard, 1989 et La nostalgie des origines, Folio Gallimard, 1969.

    [6] Définition Wikipedia.

    [7] Stéphane Courtois ; Du passé, faisons table rase. Histoire et mémoire du communisme en Europe. Robert Laffont. 2002.



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    M@gm@ ISSN 1721-9809
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