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  • Mito y poder en las sociedades contemporáneas
    Mythe et pouvoir dans les sociétés contemporaines
    Mabel Franzone - Alejandro Ruidrejo (dir.)

    M@gm@ vol.11 n.2 Mai-Août 2013

    DE LA BIBLIOTHÈQUE COMME RÉCIT MYTHIQUE, OU L'ACCÈS À LA CONNAISSANCE COMME LÉGITIMATION DU POUVOIR


    Jean Bouyssou

    jeanbouyssou@free.fr
    Master 2 Sciences de l’Information et de la Communication , Paris VIII, Bibliothécaire.

    Les bibliothèques semblent, à priori, bien éloignées du mythe. L'objectif de cet article est pourtant de montrer qu'elles sont non seulement l'objet de nombres de récits – réglementaires, législatifs, symboliques –  mais que la Bibliothèque est en elle-même un récit et que ce récit, dans sa polyphonie est mythique. Comme tout mythe, la bibliothèque se raconte dans une histoire qui remonte aux origines. Cette histoire, à l'instar de tant d'autres récits mythiques, a été figée dans une forme littéraire. Dans le cas des bibliothèques, ce texte « définitif » est l'Histoire des bibliothèques françaises, somme phénoménale en 4 volumes (VERNET, 1988), écrite par des bibliothécaires sur des bibliothécaires en une forme particulière de discours mêlant approche scientifique et égotisme.
    Ce récit comprend trois phases qui chacune correspond à une définition du mythe.

    Durant les premiers siècles, les bibliothèques françaises se développèrent dans le cadre des monastères[1]. Le rôle du moine comme celui de la collection de livres (Bibles et ouvrages de théologie, Missels et textes de liturgie) est bien de raconter inlassablement les origines divines du monde et l'histoire sacrée entre Dieu et son peuple. Le bibliothécaire a moins, à cette époque, la charge de la collection de livres (achat, prêt et rangement) que celui d'imposer une lecture pertinente (c'est à dire une lecture renforçant la foi du lecteur et évitant tout risque d'hétérodoxie) à l'ensemble de ses frères. C'est ainsi que la description des tâches du bibliothécaire dans le coutumier de l'abbaye de Fleury en l'an mille se termine par : «  la détermination des leçons de  l'office, la défense de la foi catholique, la réfutation des hérésies et tout ce qui concerne la pureté de la doctrine ».  Le moine bibliothécaire recoupe ces deux fonctions et se charge d'une double médiation vers Dieu en tant qu'ecclésiastique, vers le texte nécessaire au Salut en tant que bibliothécaire. La bibliothèque correspond alors à la définition très large de Mircea Eliade (1963) pour lequel « le mythe raconte une histoire sacrée : il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements ».

    De Charlemagne à Louis XIII, les bibliothèques répondent beaucoup plus à la définition de Gilbert Durand (1997) qui entend par mythe « un système dynamique de symboles, d'archétypes et de schèmes, système dynamique qui sous l'impulsion d'un schème, tend à se composer en récit ». Durant cette période la monarchie se définit de droit divin, et tout l'appareil administratif œuvre à  légitimer l'autorité du roi en lui conférant une charge quasi-ecclésiale et en développant les représentations l'associant aux symboles religieux. C'est ainsi que Charlemagne expose dans l'Admonitio Generalis de 789 que le rôle de l’Église est de « conduire le peuple de Dieu à la vie éternelle et de ramener les brebis égarées par le biais de bons exemples, celui de l'Empereur de diriger l'Église » et assigne dans ce même texte aux bibliothèques la mission de fournir des textes non altérés avant que de fonder, quelques années plus tard, un atelier de copiste à Aix-la-chapelle produisant des ouvrages ex authentico, s'instaurant ainsi garant de l'authenticité des textes mais plus profondément producteur de la norme. Par la suite, si tous les rois usèrent de l'imagerie du livre pour valoriser leur image, certains à l'image de Charles V ou de Louis XI eurent une démarche plus continue et plus soutenue dans l'élaboration d'un système de symboles associant Dieu, le Roi et le livre. Tous deux s'attachèrent notamment à garantir la continuité de la bibliothèque du roi afin que celle-ci soit à l'image de la pérennité de la dynastie.

    Il appartient à François Ier d'avoir fixé le récit que ce système de symboles invitait à élaborer. Son célèbre édit de Montpellier par lequel il instaurait le dépôt légal commence ainsi :
    « François, par la grâce de Dieu roy de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut.
    Comme depuis notre avènement à la couronne, nous ayons singulièrement sur toutes autres choses désiré la restauration des bonnes lettres, qui par longue intervalle de tems ont été absentes, ou bien la connaissance d´icelles si empeschée et couverte de ténèbres qu'elle ne se pouvait avoir ni recouvrer pour l´édification, nourriture et contentement des bons et sains esprits, qui par ce moyen sont durant ce temps demeurés inutiles, abâtardis et éloignés de leur bonne et naturelle inclination prenant vice pour vertu »
    .

    Par ce texte, le roi opère un glissement intéressant des seuls livres religieux et de la prétention eschatologique de Charlemagne à l'ensemble des bonnes lettres utiles à chacun comme au bien commun[2]. Le bénéfice de cette politique ce constate dans le fait que le royaume « se peut aujourd'huy dire sur tous les autres, de quelque règne qu´ils ayent été, le plus décoré et fleurissant en toutes sciences et vertueuses disciplines ».  

    Si François Ier a fixé le récit sous une forme législative, c'est à Mazarin qu'il revient de l'avoir inscrit dans l'inconscient collectif en l'incarnant dans une architecture. En rassemblant, avec l'aide de son bibliothécaire Gabriel Naudé[3], la plus grande bibliothèque d'Europe, en l'ouvrant au public, et en l'installant au sein du collège des Quatre Nations (sous-entendu des quatre nations rattachées au royaume durant les guerres menées sous son gouvernement) le premier ministre redéfinit les trois figures traditionnelles du souverain, du guerrier et du théologien – ce dernier devenu bibliothécaire – et revivifie la synthèse entre ces trois figures qu'avait préalablement assurée l'empereur Constantin (Debray, 1987).

    Cette « dédicace » de la bibliothèque au pouvoir et au territoire constitue un acte fondateur constamment réédité depuis. Il serait intéressant d'étudier les noms des bibliothèques publiques de France, mais il est symptomatique de constater que les grands sites de la bibliothèque nationale porte les noms de François Mitterrand, Richelieu, Louvois (surintendant de la guerre de Louis XIV) et de l'Arsenal.

    Mais surtout, la force de cet acte, de ce lien entre État et Savoir par le biais des bibliothèques est telle qu'aucun gouvernement n'a su, depuis, légiférer sur le sujet. Si la République, en ses premières années, a supprimé (pendant quelques années) le dépôt légal au nom de la liberté d'expression et tenté, via nombre de lois contradictoires et inappliquées, de mettre l'ensemble des collections de livres confisqués au clergé comme aux nobles expatriés à disposition du peuple pour son bénéfice propre, elle a fini par abandonner ses velléités de développement de bibliothèques de lecture publique et a masqué le problème en subordonnant les bibliothèques à l’Éducation Nationale.

    La loi de 1905 ayant dépossédé les bibliothécaires de leur légitimation religieuse, l’État leur a tout d'abord conféré une nouvelle légitimé en les rebaptisant « personnel scientifique », achevant ainsi le transfert de transcendance initié par François Ier, avant que de tenter à son tour de définir le rôle et les missions des bibliothèques. Cette unique loi (1931), entre décrets non publiés, articles abrogés mais cités dans une version ultérieure, détournement de sens, s'étant révélée une aporie, l’État s'est déchargé de cette problématique sur les collectivités locales par le biais des lois de décentralisation, tout en maintenant un contrôle théorique de l’État sur les bibliothèques. Faut-il y voir un complexe ou un échec à dépasser l'acte fondateur de Mazarin ou, au contraire, la jouissance non avouée du stratagème habile (Lévi-Strauss, 1955) par lequel Mazarin a transformé une opposition binaire inconciliable – mettre à la disposition du public les documents censés lui permettre de participer au gouvernement tout en le maintenant dans un état de sujétion inconscient –   en créant l'illusion, ou la croyance, qu'elle a été résolue.

    Bibliographie

    Bouyssou, J. Les services de référence virtuels ou les bibliothécaires français au défi du réseau, disponible sur <https://memsic.ccsd.cnrs.fr/mem_00642979/>
    Debray R. Critique de la raison politique ou l’inconscient religieux. Paris : Gallimard, 1987. (Collection Tel, 113) ISBN : 2-07-070857-8.
    Durand G. Les structures anthropologiques de l’imaginaire : introduction à l’archétypologie générale. Paris, France : Dunod, 1997. 536 p.(Psycho sup (Paris), ISSN 1275-4854). ISBN : 2-10-001415-3.
    Eliade M. Aspects du mythe. [Paris], France : Gallimard, 1963. 246 p.(Collection Idées, ISSN 0530-8089 ; 32). ISBN : 2-07-035032-0.
    Lévi-Strauss C. « The Structural Study of Myth ». The Journal of American Folklore. décembre 1955. Vol. Vol. 68, n°N° 270, Myth : A Symposium, p. pp. 428‑444.
    Vernet A., Jolly C., Varry D., Poulain M. Histoire des bibliothèques françaises. Paris : Promodis, France : Ed. du Cercle de la Librairie, 1988. 793 p.ISBN : 2-7654-0510-7.

    Notes

    1] Notons que le premier volume de l'histoire des bibliothèques, bien qu'intitulé « du VIe siècle à 1530 », fait débuter la chronologie par les dates de l’Édit de Milan qui rend licite le Christianisme (313) et par la mort de Saint-Jérôme (420), traducteur de la bible en latin et saint patron des bibliothécaires. Le christianisme semble ainsi posé comme  prolégomènes nécessaires aux bibliothèques.

    2] Notons toutefois que la suite du texte et surtout l'ordonnance du petit châtelet de la même année subordonne la publication d'ouvrages au fait qu'ils ne puissent conduire à des « erreurs et infidèles interprétations déviant de notre sainte foi et religion chrétienne ». Ainsi était établie la censure, corollaire obscur du dépôt légal.

    3] Outre son célèbre Advis pour dresser une bibliothèque, rappelons que Naudé est l'auteur de Science des Princes, ou Considérations politiques sur les coups d'état.

     

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    M@gm@ ISSN 1721-9809
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