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  • Scritture di sé in sofferenza
    Orazio Maria Valastro (a cura di)

    M@gm@ vol.8 n.1 Gennaio-Aprile 2010

    L'ÉCRITURE COMME MÉDIUM THÉRAPEUTIQUE: APPROCHES SPÉCIFIQUES CROISÉES EN LITTÉRATURE EUROPÉENNE (CHRISTA WOLF, SERGE DOUBROVSKY) ET EN INTERVENTIONS SOCIALES


    Martine Schnell

    martine.schnell@free.fr
    Docteur en études germaniques de l’Université de Haute-Alsace et de l’Université de Leipzig; Membre de l’Institut de Langue et littérature européenne de l’Université de Haute-Alsace; Thèse sur l’écrivain allemand Christa Wolf. (2003). Publications sur la littérature de RDA: Lecture plurielle de l’œuvre de Christa Wolf, Stuttgart: Ibidem-Verlag, 2004. Version allemande parue sous le titre, Jetzt sind wir dran was jetzt geschieht geschieht uns. Christa Wolf im Spannungsfeld ihrer Vorgängerinnen und Zeitgenossen des 19. und 20. Jahrhunderts. Stuttgart: Ibidem-Verlag, 2004.

    Cette contribution vise à examiner l'expérience de «l’écriture de soi en souffrance» sous trois approches différentes.

    Nous aborderons en premier lieu l’oeuvre de l’écrivain allemand Christa Wolf, née en 1929, qui, dans son roman Christa T. (1968), a entrepris une écriture autobiographique, qu’elle n’a cessé d’enrichir depuis, à travers toute son oeuvre. Son identité littéraire se base sur le principe de «l’authenticité subjective» [1]. Ce principe constitue le ciment de ses livres, qui se veulent avant tout reflet de la vraie vie. Pour l’auteur, l’acte scriptural constitue un moyen de surmonter les questionnements existentiels et tisse une nouvelle reliance de l’auteur, envers soi et au monde. Christa Wolf ne cessera d’insister, sur ce qui est devenu son leitmotiv: Dire que je n'arrive à dépasser les choses qu'en écrivant!. De ce fait, la thématique de la maladie est très présente dans ses romans.

    Ensuite, nous nous attarderons à l’oeuvre de Serge Doubrovsky, écrivain français contemporain, né à Paris en 1928. Celui-ci considère également l’écriture comme medium de la souffrance, comme acte thérapeutique, écriture post-analytique après les séances chez son psychanalyste. Pour exprimer sa souffrance, il transcrit plusieurs séances, surtout dans son roman Fils (1977), Un amour de soi (1982) et Le livre brisé (1989). Doubrovsky écrira pourtant dans Le livre brisé: «Ecrire ne m’a jamais délivré». Nous analyserons ce procédé d'écriture que l'auteur aura nommé autofiction.

    Enfin, un dernier aspect démontrera que, dans le cas de publics spécifiques (apprenants étrangers, publics hospitalisés - Programme Culture à l'hôpital -), l’écriture constitue un médium bénéfique pour libérer la souffrance lors d’ateliers d’écriture.

    1. Christa Wolf ou l’écriture pour survivre

    La phrase insignifiante «Dire que je n’arrive à dépasser les choses qu’en écrivant!» que Christa Wolf écrira dans son roman Christa T., paru en 1968, est devenue depuis son leitmotiv, tout comme son programme poétique.

    1.1. «L’authenticité subjective » comme programme poétique

    Les livres de l’auteur sont, en grande partie, une invitation constante au débat sur les faits de société. Dans son procédé d’écriture, Christa Wolf définit ce processus en tant qu’«authenticité subjective». Deux références littéraires lui ont permis de construire ce concept : Ingeborg Bachmann et Georg Büchner. Pour le lecteur, la prose de Christa Wolf doit s’ancrer avant tout dans la réalité et la fiction ne doit en aucun cas devenir une seconde réalité. En ce sens, la prose et l’écriture constituent une aide pour parvenir à connaître la vie aussi bien pour l’auteur que pour son lecteur.

    En ce qui concerne la motivation d’écriture de Christa Wolf, Rolf Richter [2] constate:
    L’écriture comme vocation, l’écriture comme forme d’existence [...];
    L’écriture comme moyen de se comprendre soi-même; L’écriture comme échappatoire existentiel, qui permet constamment de surmonter des crises;
    […] L’écriture en tant que monologue, description et message pour le lecteur présent et espéré […] [3].

    Ce contexte se veut propice, afin d’expliciter le programme poétique «d’authenticité subjective», que Christa Wolf définit lors d’un entretien avec Hans Kaufmann en 1973: «Il s’agit ici vraiment d’une écriture «active» et non pas «subjective». De toute façon, elle présuppose une importante dose de subjectivité, un sujet, qui est prêt à s’adonner à sa matière sans limites […] à assumer cette contradiction, qui devient inévitable, à rester curieux de la métamorphose du sujet et de son auteur […]. Cela devient alors beaucoup plus difficile de dire «je», sans pour autant être parfois indispensable. Cette recherche d’une méthode permettant d’assumer cette réalité par l’écriture, je voudrais pour l’instant la nommer ‘authenticité subjective’ et j’espère avoir mis en évidence l’existence réaliste et objective en ce qu’elle constitue un effort de confrontation productive à la réalité» [4].

    1.2. Écriture et utopie : le roman Christa T.

    Dans Christa T. la narratrice mène une réflexion sur la destinée de son amie défunte. La mort est omniprésente dans le passé de son amie grâce à d’authentiques extraits de journaux intimes ou de souvenirs. C’est tout simplement une manière d’écrire et d’exprimer sa souffrance. L’avenir appartient aussi bien à la narratrice survivante qu’au lecteur qui reste actif tout au long de l’histoire. Ainsi, on constate que l’amalgame des instances temporelles et narratives est producteur de l’utopie du texte.

    En 1979, Christa Wolf déclare: «Au fond: mon rapport à l’utopie - pas celui de mes personnages - devient plus profond et conscient, car la réalité se stabilise en vue de s’établir [...]. De toute façon je me vois confrontée à une éventuelle conception stabilisée, et je vois précisément dans l’écriture une possibilité effective d’introduire l’utopie, des éléments d’espoir, afin de tranquillement utiliser ce terme» [5].

    Dans cette citation, la dimension utopique de la fonction de l’écriture est très importante. Écrire sa souffrance comporte donc aussi une part d’utopie? Christa Wolf n’évoque pas ses personnages, mais dans le roman Christa T. sa position envers l’utopie en est très proche. En témoignent les grands leitmotivs de Christa T.: «Dire que je n’arrive à dépasser les choses qu’en écrivant!» ou «Le grand espoir ou de la difficulté de dire moi».

    1.3. Entre écriture, féminisme et utopie: Christa Wolf et Charlotte Wolff

    C’est en lisant l’autobiographie de Charlotte Wolff en avril 1983, que Christa Wolf y a découvert son propre nom, tout à fait par hasard. Médecin, psychologue et écrivain, Charlotte Wolff est née en 1897 dans petit village de Prusse orientale. Originaire d’une famille juive, elle fut contrainte de quitter l’Allemagne pour Paris en 1933, puis émigrera définitivement en Angleterre, où elle sera naturalisée Britannique par la suite. Elle meurt à Londres en septembre 1986.

    Ainsi débuta une correspondance, qui dura trois ans (de 1983 à 1986). Avec ses 67 lettres, elle fut assez abondante. Christa Wolf l’édita elle-même en 2004. Elle a également été traduite en français. Cette correspondance est un plaidoyer en faveur de la femme ainsi qu’une critique sociale. Ceci est paradoxal, les deux femmes ne se connaissant pas personnellement. Il ne s’agit donc que d’une rencontre intellectuelle.

    En 1997, Christa Wolf évoque les débuts littéraires de Charlotte Wolff, en les caractérisant comme la conséquence d’une force d’écriture mystérieuse et puissante: «Et il faut bien dire que cette enfance et cette jeunesse furent riches de fortes expériences émotionnelles […] du bouleversement provoqué par la naissance d’un ‘œil intérieur’. C’est alors qu’elle sent une ‘force inconnue et puissante s’emparer d’elle’. A partir de cet instant, écrit-elle, je connus l’univers que j’apercevais et que je tenais en moi. » […]. Charlotte Wolff est restée un être extrêmement sensible et fragile. Jeune fille, un désir irrépressible lui fit écrire des poèmes, elle se sentait attirée par l’art et la littérature [...] [6].

    Ainsi, on peut affirmer que, tout comme Christa Wolf, elle vise à dépasser les choses en écrivant.

    1.4. La thématique de la maladie et l’écriture de la souffrance

    La suprématie de la thématique de la maladie dans presque tous les livres de Christa Wolf est évidente. Pour l’auteur, c'est très simplement une manière d’exprimer et d’écrire la souffrance. On la retrouve dans Le Ciel partagé jusqu’au récit Le corps même (2002). Les textes d’après 1989, qui traitent plus particulièrement de cette thématique sont avant tout Médée et Le corps même.

    1.4.1. Le récit Dans la pierre et le roman Médée

    Le récit Dans la pierre [7] a été écrit en 1994/95. Il relate une expérience personnelle de l’auteur. Il rend compte du déroulement d’une opération de la hanche sous anesthésie locale pour l’implantation d’une artificielle. Durant l’opération, l’auteur a l’impression de se trouver «prise dans la pierre», les jambes fléchies et le bas du corps rendu insensible par l’anesthésie. Seules fonctionnent encore quelques cellules de son cerveau. Elle a conscience du déroulement de l’opération, sans pour autant y participer. Elle nous laisse pénétrer dans ses pensées. Le texte contient deux niveaux narratifs: le présent de l’opération (les déclarations des médecins et des infirmières sont en lettres majuscules dans le texte) et les pensées de la narratrice, qui est en même temps la patiente. Malgré le tragique de la situation, le texte est très ironique. Peut-être que l’ironie constitue justement à mettre en évidence la réalité de la situation. Le texte est énoncé, tel un labyrinthe, syntaxiquement presque sans ponctuation.

    Durant l’opération, la narratrice se perd constamment dans ses pensées. Elle se parle à elle-même ou aborde un «tu» fictif (le lecteur). Avec le terme «pierre» se forment des associations sémantiques de différentes sortes: la mythologie avec les déesses Méduse et Médée, Prométhée, la musique (durant l’opération, elle écoute de la musique de Mozart), des citations littéraires, des motifs issus du conte (le Petit Chaperon rouge), la torture (l’abattoir la mort, la peur). Elle médite sur elle-même et sur la signification de la douleur et justement de la souffrance: «[…] Avez-vous mal quelque part. Non ou bien est-ce que tu préférerais/ conditionnel/ sentir le couteau […] et quand cela commencera à faire mal dites-le. Vivre c’est souffrir mais il y a longtemps que je le sais ai-je pensé, je m’en souviens […]».

    En 1996, Christa Wolf y réfléchit également dans le roman Médée. En onze monologues, elle relate une nouvelle version du mythe, en présentant Médée en tant que meurtrière de ses enfants. Même dans le contexte mythologique, la maladie apparaît comme phénomène faisant référence à la réalité et surtout, au mode d'expression de la souffrance.

    Dans le premier monologue du roman, Médée se trouve dans un état fiévreux. Dans son délire, elle dit: «La maladie qui me fait trembler jusqu’au plus profond de mon être va m’accorder un répit, je connais le sens secret des maladies mais je sais m’en servir pour guérir les autres que moi-même […]».

    Une autre citation attire également l’attention: «L’aveu de notre détresse, c’est par là que nous devrions commencer. De fausses questions troublent silhouette qui veut se libérer des ténèbres de la méconnaissance. Nous devons la mettre en garde. Notre méconnaissance forme un système fermé, rien ne peut la réfuter. A moins que nous nous risquions jusqu’au plus intime de notre méconnaissance, celle de nous-mêmes également, marcher tout simplement, les uns avec autres, avec dans l’oreille le bruit des cloisons qui s’écroulent […]».

    Ces phrases placées en exergue du livre contiennent plusieurs termes importants: entre autre «détresse» et «méconnaissance». Ainsi Christa Wolf insiste sur le fait que la vision humaine est constamment entravée et enrayée par des préjugés. Elle admet une perte d’utopie et d’espérance. Cette hypothèse correspond à la situation de Médée.

    Christa Wolf invite le lecteur à réhabiliter ce personnage. Il s’agit d’une remise en question du mythe, et de sa transformation partielle. Pour le lecteur, c’est aussi une prise de conscience de sa méconnaissance, ce qui engendrera probablement un changement de sa manière de penser.

    Ceci s’applique également au personnage de Glaucé. Ce personnage, auquel il revient le nom de Creusa dans la plupart des versions du mythe - entre en scène dans un seul monologue dans le rôle de la fille repoussée du roi. Médée y est décrite en tant que guérisseuse. Elle permet à Glaucé de se libérer de sa maladie physique: l’épilepsie. Il ne s’agit pas seulement d’un processus de guérison mais il faut s’en souvenir: Médée a aidé Glaucé, en ce que cette dernière porte en elle beaucoup de faits refoulés, ce qui constitue le noyau de sa maladie. Le fait que la maladie de Glaucé ait un fondement psychologique ne se laisse pas remettre en doute. C’est ainsi, Médée met tout en son pouvoir en oeuvre, afin que Glaucé se métamorphose. On constate que seul un autre vêtement fait effet : des habits tissés de couleur, c’est «inouï, inouï et merveilleux […]».

    Médée l’emmène par exemple à la mer. Arrina l’amie de Médée et son mari, les accompagnent. Le mari est ironiquement nommé «l’homme de l’ombre», ce qui fait référence au rôle de la femme. Lors des ces promenades, Médée pose de multiples questions à Glaucé: «[…] le genre de questions qui me faisaient vraiment rire […] tout en me massant la tête et la nuque, ce qui me procurait un infini sentiment de bien-être et faisait disparaître cette pesante vibration au centre de mon crâne qui ne me quittait presque jamais et qui parfois semblait faire éclater ma pauvre tête avec une violence effroyable et déclenchait ce malaise […].»

    Comme lors d’une psychothérapie, Médée conseille à Glaucé de se «laisser descendre dans les profondeurs de [soi-même], qui ne sont rien d’autre que ma vie passée et le souvenir que j’en garde […]». Médée lui fait aussi «boire sa décoction de plantes qui était tantôt agréable, tantôt amère comme de la bile, cessant de faire allusion à cette corde, qui pendant un temps, devint pour moi quelque chose de plus réel que tous les objets du monde extérieur. Se laisser glisser, descendre, s’enfoncer. Pas lorsque j’étais allongée sur mon lit, mais aussi quand j’allais et venais les yeux ouverts, même quand je parlais avec quelqu’un, je pouvais, non, je devais en même temps suivre avec la plus grande attention cette image réduite de moi-même qui s’efforçait de descendre en moi […]».

    On constate que Glaucé souffre d’une sorte de phobie: «A chaque fois qu’elle s’approche du puits dans la cour du palais, elle commence à trembler, est prise d’une nouvelle crise d’épilepsie et s’évanouit. Médée parvient un jour à la faire traverser la cour sans problème. Après un grand silence, les deux femmes s’assoient et s’installent « sur le banc depierre à l’autre extrémité de la cour du palais […]».

    Glaucé a mis sa tête sur les genoux de Médée comme elle le faisait autrefois chez sa mère. A cet instant, elle commence à raconter. Glaucé se souvient d’un jour, où les parents se disputèrent dans la cours du palais. Après la dispute sa mère s’est retirée. Peu de temps après, Médée la soigne, comme le fit autrefois sa mère.

    Dans ce contexte, un après-midi chez Oistros est décrit. Le même soir, Glaucé se retrouve seule avec Médée. C’est une nouvelle occasion, qui la conduit à se remémorer son passé. Elle se revoit en pleurs, inconsolable, sur le seuil de pierre d’une des pièces du palais. Elle a une chambre devant les yeux : celle d’Iphinoe, sa soeur disparue. Elle se souvient du jour de son sacrifice. ; sa soeur porte un habit blanc et se trouve entre deux hommes armés…

    On constate donc que Glaucé a vécu ce traumatisme, qui en fait, est à l’origine de sa maladie Médée lui dit d’ailleurs: «Cela fait tant d’années, […] que tu essaies de concilier l’inconciliable, cela t’a rendue malade […]».

    Par l’évocation des faits refoulés, Médée accélère la guérison de Glaucé. Malheureusement la fin de l’histoire va montrer que Glaucé ne pourra pas accepter ce processus d’émancipation (dans la perspective d’une interprétation féminine). En son for intérieur, cette dernière s’efforce constamment de s’éloigner de soi-même, et elle ne peut supporter ce tiraillement Le fait qu’elle mette l’habit que lui offre Médée le prouve. Ce qui signifie peut être qu’elle voudrait lui ressembler.

    Finalement, Glaucé mettra fin à ses jours en se jetant dans le puits: malgré tous les efforts, elle ne voit plus d’issue à sa situation.

    En outre, en lien avec la notion de «programme psychologique», on peut s’interroger sur la valeur de la vérité que Médée transmet à Glaucé ou qu’elle la contraint plus précisément à découvrir. Du fait que Médée a assisté au sacrifice de son propre frère, elle aurait pu éviter cet affront à Glaucé. Il s’agit ici de préserver un certain devoir de mémoire: un rituel récurrent ayant lieu tous les sept ans afin que l’infanticide de Médée ne tombe pas dans l’oubli.

    La question reste ouverte: on peut se demander quelle vérité reste préservée par le souvenir et si la maladie permet de sortir de cette impasse.

    Le récit Le corps même amène le lecteur à un questionnement à situer sur le même plan: il s’agit de la confrontation de l’individu et de la société.

    1.4.2. Le corps même: narration d’une dépression à la fin de l’époque la RDA

    1.4.2.1. Une maladie «sociale»

    Le récit relate la maladie et la dépression d’une femme non nommée. Sa maladie initiale est une inflammation de l’appendicite. Mais son état s’aggrave constamment après plusieurs opérations. Elle devra être opérée à cinq reprises. Lorsqu’elle demande au médecin les raisons de son état, celui-ci lui répond: «[…] Parce qu’il vous manque des sels minéraux très importants, dit-il. Le potassium, par exemple. Votre prise de sang révèle que vous n’avez plus du tout de potassium. Et manque de magnésium. De calcium. De fer. De zinc. Tous les minéraux. Il va tout d’abord falloir qu’on vous aide à vous reconstruire […]».

    Le terme «reconstruire» revêt une double acception. Il renvoie à la guérison, certes, mais, fait référence également, à la «construction» de la société en RDA, par une sorte de jeu de mots se rapportant à la politique culturelle. Cette double acception du terme de construction se ressent tout au long du récit, comme le démontre son début: «Cette plongée puis cette émergence de la conscience dans un fabuleux flot originel. Mémoire insulaire. Là où elle dérive à présent, les mots ne suffisent pas, doit être l’une de ses dernières pensées lucides […]».

    Cette citation contient plusieurs termes dignes d’attention, les mots ne suffisent plus pour écrire la souffrance. On renvoie à la sphère consciente de la narratrice, ce qui structure le récit. Le lecteur oscille entre d’une part les pensées de cette femme qui entre en elle-même comme dans un labyrinthe, et d’autre part, dans la réalité quotidienne du milieu hospitalier.

    Dans ce contexte, la mémoire se compose de petits îlots. Le lecteur est familiarisé avec ce concept depuis Christa T, où la narratrice, plus précisément Christa Wolf elle-même, écrit en recherchant quelque chose, et toute chronologie dérange dans l’approche de son style d’écriture.

    La femme malade non désignée, l’héroïne du récit Le corps même, souffre souvent de tachycardie. Ces symptômes devraient être accompagnés d’une angoisse de la mort, ce qui n’est pas le cas ici. Cet état et cette maladie étaient d’ailleurs analogues à la leucémie de Christa T. Dans son cas, le diagnostic des médecins étaient: «Cette qu’est le désir de mort. Névrose en tant que manque d’adaptation aux circonstances données».

    Le texte apprend au lecteur que l’héroïne est «[…] une professionnelle de ce genre de crises […]». Durant la crise, elle se souvient de la première fois. La femme, qui avait dépassé la trentaine, avait une immense angoisse d’une représentation cinématographique, celle d’un film dont Lothar (dont on ne saura que le prénom) et elle-même, ont écrit le scénario.

    2. Serge Doubrovsky et l’écriture de soi

    2.1. L’écriture «pour l’inconscient»?

    Dans l’œuvre de Serge Doubrovsky, l’écriture a un rôle particulier, mais est en tous les cas, un medium privilégié de la souffrance. Pour son roman Fils, l’auteur conçoit l’écriture comme une psychanalyse ou un récit d’analyse, qu’il dénomme Autofiction, terme qu’il aura lui-même introduit dans la terminologie littéraire contemporaine. Sur la quatrième de couverture de son roman Fils, il définit ce concept comme «une fiction d’évènements et de faits strictement réels. Si l’on veut, autofiction d’avoir confié le langage d’une aventure à l’aventure d’un langage en liberté».

    Dans une contribution de 1979, Doubrovsky analyse les styles divers de son roman et intitule son propos: Ecrire sa psychanalyse. [8].

    Doubrovsky fait usage, selon sa propre expression, d’une «écriture pour l’inconscient». Dans son roman Fils, l’auteur utilise des «ressources du domaine consonantique substituées à l’ordre syntaxique et discursif traditionnel pour exprimer son vécu, son inconscient, ses pensées. L’auteur prend aussi la place de l’analyste lorsqu’il écrit. Par les procédés scripturaux, il analyse ses réflexions, prend de la distance dans son cheminement avec soi-même. Ainsi, il est commun d’affirmer, que dans l'acte scriptural, l’analyste est absent.

    Prenons plusieurs exemples de cette écriture particulière du roman Fils. Le procédé d’écriture peut être classé en trois catégories:
    une écriture ordinaire;
    une écriture novatrice, faisant référence au Nouveau Roman et à ses procédés stylistiques;
    une écriture post-analytique.

    Le roman Fils compte environ cinq cents pages et est très dense. Comme son titre l’indique, il s’attache à reconstituer les fils de la vie et de la psychanalyse de l’auteur. Mais Doubrovsky prend aussi la plume en tant que fils, pour honorer la mémoire de sa mère, comme l’indique l’exergue du roman: «A ma mère qui fut source […]».

    Le roman comporte, en effet, six parties distinctes, dont chacune porte un titre différent, ce qui permet au lecteur de s’orienter dans le récit: Strates, Streets, Rêves, Chair, Chaire, Monstre. En lui-même, le récit se structure en trois étapes, tout en décrivant une journée de Serge Doubrovsky, Professeur de littérature française à l’Université de New York.

    La première partie, durant laquelle l’auteur se remémore des souvenirs récents ou lointains (enfance, guerre, premiers amours) constitue une sorte de propédeutique à la recherche de la vérité par les séances de psychanalyse. Feront suite à cette propédeutique, l’analyse puis le vécu post-analytique (la salle de cours du professeur à l’université). Afin d’exprimer ce tâtonnement, Doubrovsky fait usage de deux écritures [9] diverses, dont voici une illustration: «[…] quatre chatons en une portée deux tigrés un noiraud un grisâtre accouplement d’infortune au-delà des murs du voisin moment mal choisi la mère les lisse les lèche […]» [10].

    Ou encore: «éblouissement brusque brutal soleil vif traverse la vitre entre vite […]» [11].

    Écriture sans ponctuation, ce sont les blancs (de la mémoire) qui rythment les pensées de l’auteur. Les blancs dans les pages du roman symbolisent aussi les silences de parole que l’analysant retrouve lors de la cure psychanalytique. Cette écriture présente des analogies à celle du Nouveau Roman, ou encore celle que l’on retrouve dans le roman Le Procès verbal de Le Clézio en 1963 [12].

    D’autres passages mélangent rimes, mots en majuscules, en italique, blancs et termes manquants avec une infinie variété typographique, qui mériterait qu’on si attache plus longuement [13]. D’autres passages du texte sont tout à fait ordinaires, souvent sans majuscule en début de phrase ou sans ponctuation: «je me ranime, le froid pince la peau du visage, pénètre aux pieds, repartir, il faut, c’est l’heure, doit être à Cheveland ce soir, donner une conférence […]» [14].

    Ou bien: «Lundi matin, je suis arrivée à 11 heures, en dehors de l’heure des visites, et j’ai demandé comment cela s’était passé» [15].

    Les exemples seraient infinis. Il en ressort que l’écriture permet de faire face aux aléas de la vie. Si Doubrovsky décrit ses souvenirs ou ses séances de psychanalyse, c’est qu’il les a surmontés. L’auteur fait donc usage d’une écriture post-analytique. Ce qui rejoint les conceptions des écrivains allemands Christa Wolf et Anna Seghers. Cette dernière affirme dans un entretien, «ce que l'on peut raconter, on peut l'assumer / Was erzählbar geworden ist, ist überwunden».

    Comme évoqué précédemment, Christa Wolf, écrivain contemporain allemand, affirme dans son roman Christa T. en 1968: «Dire que je n’arrive à surmonter les choses qu’en écrivant!». Ces affirmations semblent antinomiques et complémentaires à la fois.

    Doubrovsky suivra cet axe dans son roman Fils, pourtant, une dizaine d’années plus tard, il affirmera dans son roman Le livre brisé: «Écrire ne m’a jamais délivré. Je n’ai jamais été libéré. Les mots ne sont pas des actes. Même imprimés, ce sont des paroles en l’air» [16]. Il poursuivra un peu plus loin: «Le passé, on peut le raconter, l’écrire. On ne peut pas le réécrire […]» [17].

    Pourtant, Doubrovsky, cet auteur qui réécrira, d’une certaine façon, son passé par la psychanalyse, le fait de l’écrire, et ainsi, d’exprimer définitivement sa souffrance, lui permet de (re)trouver une nouvelle reliance, de nouveaux liens envers soi-même et les autres.

    3. L'intervention par l’écriture auprès de publics diversifiés

    Dans cette partie, nous aborderons l’écriture comme expression de la souffrance dans deux cadres différents, faisant pourtant appel à un même dispositif: l’atelier d'écriture [18].

    La première situation est celle d'un atelier d’écriture organisé en direction d’un public d’apprenants de Français langue étrangère. La seconde situation se fonde sur le programme Culture à l'hôpital et évoque des ateliers d'écriture, qui ont été organisés en hôpital psychiatrique.

    Ces deux expériences mettent en exergue une nouvelle situation de reliance. Dans les deux cas, de nouveaux liens se tissent par l'écriture. Celui qui écrit acquiert, ou est surtout en quête de reconnaissance [19].

    a) Un atelier d’écriture pour des apprenants de Français Langue étrangère

    La première situation est celle d’un apprenant en français langue étrangère, plus particulièrement d'un nouvel arrivant en France, qui exprime sa souffrance par l’écriture. Ce dernier rencontre d’énormes problèmes de communication. Il a l’impression qu’on ne le comprend pas. En me référant à ma propre expérience d’animatrice d’ateliers d’écriture, j’ose affirmer qu’une méthode efficace d’apprentissage des langues est de se trouver en situation réelle. Lors d'ateliers, cette situation sera simulée ou jouée en saynètes de théâtre.

    Mais tout cela aura aussi été écrit auparavant, et c’est le plus important. Improviser l’écriture et interpréter donne un rythme aux séances. Cette méthode qui mêle des approches pédagogiques et artistiques favorise la libération des mots, expressions, sentiments et souvenirs (nostalgie du pays, coutumes, tristesse, angoisses...) Dans ce contexte, les ateliers d’écritures permettent de réaliser une écriture de soi en souffrance.

    b) Des ateliers d'écriture en milieu hospitalier: Culture à l'hôpital

    Les projets «Culture à l'hôpital» existent en France au niveau national ainsi que dans d’autres pays européens (Allemagne, Suisse, Grande-Bretagne, Italie) [20]. Nous nous limiterons ici, à des projets d’ateliers d’écriture qui se sont déroulés dans un établissement psychiatrique français en Alsace, de 2004 à 2006.

    Le développement du projet s’inscrit dans un double dispositif du côté français: le premier revient au Ministère de la culture ayant signé une convention nationale avec le Secrétariat d’Etat à la santé (1999) pour soutenir des initiatives Culture à l’Hôpital. Ce dispositif est relayé en 2004 en région Alsace par une convention régionale entre la Direction Régionale de l’Action Culturelle (DRAC) et l’Agence Régionale d’Hospitalisation (ARH) donnant lieu à un appel à projet.

    Nous pouvons évoquer ici, trois ateliers d’écriture, qui ont été menés dans le Cadre du Programme Culture à l'hôpital. Ces ateliers ont permis de libérer la souffrance de différentes manières et à permis aux patients de se retrouver, de retrouver confiance. Les ateliers furent animés par Soumya Ammar Khodja en 2005 et 2006. Elle est écrivain et poète, conférencière et animatrice d’ateliers d’écriture. Enseignante à l’Université d’Alger jusqu’en 1994, elle vit maintenant dans l’Est de la France [21].

    Elle a écrit plusieurs ouvrages, parmi lesquels: « Rien ne me manque » paru en 2003, «Aubes orantes», paru en 2001 et «La troisième fête d’Ismaël» paru en 1994. Elle a aussi travaillé comme critique littéraire et a participé à des ouvrages comme le Dictionnaire des œuvres algériennes en langue française (1991).

    Descriptif du projet

    Pendant 6 mois, l’écrivain a accueilli dans son atelier 6 à 8 patients adultes tentés par l’acte d’écrire. Pour Soumya Ammar Khodja, l’objectif était de «contribuer à faire accéder à la culture des patients qui ne s’autorisent plus, sans doute, à lire, à écrire, à éprouver le plaisir et la fierté de composer un texte. Que l’écriture, la lecture, ne soient plus ressenties comme des objets interdits et contraignants mais comme la possibilité d’un loisir où l’on va construire, réaliser «quelque chose». Car l’écriture est la mise en action d’une liberté, aussi infime soit-elle: celle de l’appropriation de mots pour l’invention d’une forme, d’une esthétique…»

    Deux autres ateliers d’écriture ont été menés par Soumya Ammar Khodja auprès d’enfants du Centre psychothérapique pour enfants et adolescents de Rouffach / Guebwiller. Plusieurs enfants et adolescents ont participé au projet dont l’aboutissement est la production en interne de deux recueils de textes et illustrations de belle qualité et pleins de poésie.

    Extrait du recueil: Lettre à…

    Chère passante, cher passant. Pourquoi tant de haine? Quand je marche dans la rue, vous me voulez du mal. Qu’est-ce que je vous ai fait? Je n’arrive pas à comprendre. Le pire, c’est quand je fais les magasins. Aidez-moi à combattre ce mal-être de la schizophrénie dans cette société. Si chacun y met du sien en donnant une pièce, on trouvera le médicament pour la soigner. En étant moins fiers dans la rue, sans que chacun ne soit pour soi et Dieu pour tous. Pensez à la prochaine génération. Aidez les gens. Un pas en plus, ce sera une personne de moins à soigner.
    Veuillez recevoir mes meilleures salutations, Patrick.

    Cette lettre décrit la souffrance du patient par l'écriture. Celle-ci s'exprime peut-être plus clairement, car il s'adresse à un interlocuteur anonyme: le passant. Il trouve aussi la force de nommer son mal: la schizophrénie.

    Conclusions

    Nous avons abordé la thématique de l’écriture de soi en souffrance sous trois angles différents. Le leitmotiv de Christa Wolf «Dire que je n'arrive à dépasser les choses qu'en écrivant» est l’idée force de notre réflexion. L’auteur de l’Allemagne de l’Est décrit la réalité selon «l'authenticité subjective», notamment par la thématique fréquente de la maladie dans ses romans. L'écriture lui permet de survivre. L’écrivain français Serge Doubrovsky considère également l’écriture comme échappatoire. Il écrit selon son concept d’autofiction pour se retrouver soi-même et se fonde sur la psychanalyse. Les ateliers d’écriture permettent aussi de laisser place à l’expression de la souffrance, dans des situations d’apprentissage de la langue pour étrangers ou face à des patients hospitalisés, qui doivent réapprendre, ce qu’écrire veut dire. L’écriture permet de mettre en avant reconnaissance et reliance à soi et aux autres.

    Notes

    1] Pour le concept d’«authenticité subjective», le lecteur pourra se référer à l’entretien de Christa Wolf avec le germaniste Hans Kauffmann, datant de 1973, reproduit dans les œuvres complètes de l’auteur, éditions Luchterhand, Munich.
    2] L'ouvrage suivant se consacre exclusivement à cette thématique: Rolf Richter: Schreibend über die Dinge kommen. Zu Christa Wolf. Hochschulschriftenverlag Dr. Ingo Koch, Rostock, 1998.
    3] Rolf Richter, op.cit., p. 87.
    4] In Werke 4 (Oeuvres complètes), Munich, Luchterhand, p. 409.
    5] Cf. Entretien avec Hans Kauffmann, op. cit.
    6] Sur l’influence réciproque entre Christa Wolf et Charlotte Wolff, voir avant tout leur correspondance, éditée par Christa Wolf et traduite en français. Cf. Christa Wolf: Oui, nos cercles se touchent. Traduit de l'allemand par Nicole Casanova, Editions Des Femmes, 2006.
    7] Pour les textes cités dans ce paragraphe, nous renvoyons le lecteur aux Œuvres complètes, éditées chez Luchterhand, Munich, tome11: Medea [1996], t.12: Essays, Gespräche, Reden, Briefe 1987- 2000.
    8] Cf. Cahier Confrontation n.1, printemps 1979. Voir également le site www.autofiction.org.
    9] Cela fait penser aux notes que prend le psychiatre, le psychologue ou le psychanalyste pendant l’entretien.
    10] Serge Doubrovsky, Fils, Paris, Galilée, 1977, p. 319.
    11] Fils, p. 100. Ce procédé d’écriture rappelle aussi celui de l’écrivain autrichien Elfriede Jelinek, dans sa pièce de théâtre Dans les Alpes, paru en 2002. En effet, le processus d'écriture d'Elfriede Jelinek fait référence à l'autofiction.
    12] Le Clézio Jean-Marie Gustave, Le Procès verbal, Paris, Gallimard, 1963.
    13] Ce procédé se retrouve aussi chez Christa Wolf, qui dans son texte Rencontres Avenue Third Street (1999), nous livre le récit d’un exil temporaire en Amérique tout comme Serge Doubrovsky, qui en tant que citoyen français a vécu en Amérique. Dans son texte, Christa Wolf précise que sa mémoire fonctionne comme un disque qui ne s’arrête pas, d’où l’absence de ponctuation dans le texte.
    14] Fils, op.cit., p. 17.
    15] Ibid., p.11-12.
    16] 2 Serge Doubrovsky, Le livre brisé, roman, Grasset, 1989, p. 20.
    17] Ibid., p. 21.
    18] Thierry Maricourt: Ateliers d'écriture: un outil, une arme, Paris, L'Harmattan, 2003. Selon l'auteur de l'ouvrage, l'écrit est un instrument de libération pouvant être un levier d'une lutte contre l'exclusion. D'où l'intérêt d'initier des ateliers d'écriture chez des personnes en difficulté, en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme.
    19] Cf. la communication de la sociologue Josiane Stoessel-Ritz, «Regards sur l'apprentissage de l'être ensemble à l'hôpital psychiatrique: «Culture à l'hôpital», une expérience transfrontalière. Colloque «Reconnaissance, reliance et transactions», Strasbourg, Centre de Recherches et d'Etudes en Sciences sociales, 22-23 janvier 2009. Pour le terme reliance, on peut se référer à Marcel Bolle de Bal (1988): La reliance ou la médiatisation du lien social, la dimension sociologique d’un concept charnière, Communication au 13e Congrès de l’AISLF, Genève.
    20] Pour la dimension européenne du dispositif Culture à l'hôpital, voir les Actes des Rencontres européennes «Culture à l’hôpital», Strasbourg, 2001, www.culture.gouv.fr (page consultée le 7 mars 2009).
    21] Pour plus de détails, voir site du Centre hospitalier de Rouffach (Alsace), www.ch-rouffach.fr, rubrique «Culture à l’hôpital».


    Collana Quaderni M@GM@


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    M@gm@ ISSN 1721-9809
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