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  • Écritures de soi en souffrance
    Orazio Maria Valastro (sous la direction de)

    M@gm@ vol.8 n.1 Janvier-Avril 2010

    DU CRI À L’ÉCRIT … L’ÉCRITURE UNE STRATÉGIE DE DÉPASSEMENT DE SOI: LE CAS D’AMÉLIE NOTHOMB



    Benali Souâd

    souadbenalidz@yahoo.fr
    Université d’Oran, Algérie.

    Amélie Nothomb, japonaise de naissance (Kobe le 13 - 08 - 1967), belge d’origine et de nationalité, elle est fille de l’ambassadeur Patrick Nothomb qui est aussi, baron et écrivain; petite-nièce de l'homme politique Charles-Ferdinand Nothomb. Issue d’une illustre famille bruxelloise qui apporta autrefois la province de Luxembourg au Royaume de Belgique. Cette famille a donné une juste proportion d’hommes politiques et d’écrivains.

    Née au japon, Amélie Nothomb y passe les cinq premières années de sa vie, dont elle restera profondément marquée linguistiquement et culturellement. Parlant couramment le japonais, elle devient interprète. La mission diplomatique de son père, la nature de sa profession explique l’expérience d'expatriée d’Amélie. Elle vit successivement en Chine, aux États-Unis, au Bangladesh, en Birmanie et au Laos, puis débarque à 17 ans en Belgique, où elle entame une licence de philologie romane à l'Université Libre de Bruxelles. Amélie Nothomb réussit ses études, fait preuve de sérieux et de compétence. Elle obtient le même diplôme que Nietzsche, fait-elle remarquer dans une entrevue.

    De sa vie à Bruxelles, et de son cursus universitaire, elle ne cache nullement ses douloureux souvenirs d’être incompris et rejeté, se retrouvant toujours confronté à une mentalité qui lui était inconnue. Toute cette civilisation occidentale à laquelle elle est censée appartenir, et l’orientale, berceau de son enfance et abreuvoir de son adolescence. Ce fut la collision des deux civilisations diamétralement opposées; elle dira à propos de ce choc socioculturel et civilisationnel: "Ce fut une solitude totale parce que j'étais incapable de communiquer avec les jeunes Occidentaux, je suppose que c'est en raison de ce malaise que j'ai commencé à écrire" [1].

    Amélie Nothomb déclare avoir ressenti entre dix et vingt ans une terrible solitude. Elle ajoute à ce propos: "Le fond de moi reste seul et a faim même si maintenant je n'ai plus faim du tout car je suis nourrie de mille manières et je ne parle pas d'aliments, je parle d'affection et d'amour, maintenant j'ai ça en abondance et en qualité. J'ai eu faim d'êtres humains dans la vie et je reste dans la situation d'une affamée" [2].

    Vu la nature de la profession paternelle, Amélie Nothomb a été dès son jeune âge nomadisée; parfois privilégiée vu les changements de pays, mais souvent sanctionnée, car elle ne pouvait pas s’enraciner, lier des relations affectives solides et durables. Attachée puis brusquement arrachée au Japon, cette première expérience d’Amélie Nothomb la marque à vie. Suit celle de la Chine, à laquelle, la jeune future romancière s’était sévèrement déracinée, elle déclare: "Dans de telles situations précaires, causant des maux incurables, il vaut mieux ne pas s'attacher" [3].

    Seule l’écriture lui porte rétablissement et guérison. Amélie Nothomb avoue souffrir d’un intense sentiment de culpabilité qui l’entraîne vers l’écriture, une écriture -thérapie qui efface ses souffrances ou du moins les atténue. Elle déclare: "La finalité profonde de mes romans, m'échappera toujours, mais la culpabilité en est l'un des moteurs" [4].

    Pour démontrer encore plus ce besoin personnel d’écrire, Amélie Nothomb répond à une des questions posées par l’intervieweur, mettant l’accent sur la fonction vitale que joue l’écriture pour elle. -" Mauriac disait que s'il n'avait pas été écrivain il aurait été assassin, cela pourrait s'appliquer à vous-même ? Amélie Nothomb répond par "Complètement, sauf qu'à mon avis, j'aurais été assassin de moi-même" [5].

    Écrire c'est pour Amélie Nothomb la plus grande nécessité, c’est la seule manière pour atteindre le paroxysme de sa jouissance. Elle opte pour une écriture comme un moyen de fuite du réel, une écriture- échappatoire.

    La romancière défend son point de vue et sa raison d‘écrire, en disant que ses romans ne décrivent que la réalité quotidienne observée et dénudée; sans accessoires. Ni le besoin de l’enlaidir ou de l’embellir; elle présente à titre d’exemple les relations humaines telles qu’elles sont.

    Les romans d’Amélie Nothomb font et depuis plus d’une dizaine d’années le sujet des médias. Amélie devient la star des lycéens (SET programmé au lycée: étude de l’autobiographie) et des étudiants chercheurs en lettres contemporaines et francophones.

    Dans ses écrits, le lecteur n’est jamais rassuré, toujours inquiet et déstabilisé. Nothomb fait implicitement exceller une nouvelle écriture, une littérature qui se lit à l’endroit et à l’envers, une littérature épaisse et profonde. Ce n’est plus le souci de s’identifier, de retrouver des repères spatio-temporels et culturels authentiques. Par son écriture, Amélie Nothomb tente d’agir sur un lecteur passif, l’arracher à sa torpeur et établir un pacte de lecture avec lui. Elle rejette l’idée d’un lecteur amateur qui ne remet jamais en question ce qu’il consomme.

    Nothomb use de méthodes scripturales provocatrices en s’adressant à un consommateur avide. Elle ne prête pas attention aux réactions de ce dernier pour le mettre dans une situation de confiance. L’écrivaine ne cherche pas à le satisfaire, ni à le décevoir, car cela n’empêche pas que le lecteur s’est habitué à sa cadence nothombienne, celle de publier un roman par an.

    Stupeur et Tremblements a été couronné du Grand Prix de l'Académie Française et s’est vendu à 500.000 exemplaires, il a été aussi adapté à la cinématographie. Ses autres romans sont depuis traduits en 39 langues. Nothomb a également obtenu deux fois le prix du jury Jean Giono, le prix Alain Fournier; très réputée en Italie, on lui décerne le fameux il premio Chianciano.

    L’approche autobiographique dans:
    Le sabotage amoureux (1993): LSA.
    Stupeur et tremblements(1999): SET.
    Métaphysique des tubes(2000): MDT.
    Biographie de la faim (2004): BDLF.

    L’écrivaine a produit quatre romans autobiographiques: Le Sabotage amoureux 1993 -Stupeur et tremblements 1999 - Métaphysique des tubes 2000 - Biographie de la faim 2004. Les quatre sont cités et abrégés ci-dessus.

    Nothomb sait pertinemment que le souvenir enterré et intériorisé est la meilleure matière qu’un auteur (créateur) puisse épuiser, manier voire manipuler, faisant resurgir ses réminiscences. Tous ses autres romans ne servent que de prétexte pour transmettre d’éventuels messages, émaner des points de vue et défendre un ensemble de croyances et d’idées.

    Nothomb se sert de mots et pour évacuer des maux. Dès lors l’écriture nothombienne se veut engagée, un palliatif atténuant de la douleur ressentie et accumulée pendant plus d’une vingtaine d’années (écrits autobiographiques). Elle est aussi une méthode pour fuir un réel insupportable, une efficace stratégie d’extériorisation de ce qui a été refoulé. Les productions nothombiennes est un gain littéraire qui enrichi les bibliothèques et tente de satisfaire les le public de consommateurs.

    Sommes-nous à présent convaincus de l’appartenance générique de ces quatre romans de Nothomb présentés respectivement comme des œuvres ‘Autobiographiques’? S’agit-il vraiment d’autobiographies ou seulement de simples comparaisons entre l’histoire narrée et l’expérience vécue par l’auteure?

    Ne sont pas forcément autobiographiques, les romans qui épuisent les souvenirs personnels, sinon pourquoi parle-t-on d’œuvre d’inspiration autobiographique où seule matière combustible demeure l’imagination d’un auteur-créateur. Selon l’ouvrage de référence pour l’étude de l'autobiographie, de Philippe Lejeune. L'autobiographie en France, ce genre d’écrit "S'interroger sur le sens, les moyens, la portée de son geste, tel est le premier acte de l'autobiographe: souvent le texte commence, non point par l'acte de naissance de l'auteur (je suis né le....) mais par une sorte d'acte de naissance du discours, "le pacte autobiographique" [6].

    Est appelée donc ‘autobiographie’ tout ‘récit rétrospectif en prose’ que quelqu’un fait de ‘sa propre existence’, quand il met ‘l'accent sur sa vie individuelle’, en particulier sur ‘l'histoire de sa personnalité’.

    Cette définition, propose des caractéristiques de ce genre d’écriture, appartenant à trois catégorie: de forme, de fond et de la nature des rapports, liant l’auteur à son texte à savoir le mode de narration.

    1. La forme du langage:
    a) récit;
    b) en prose.
    2. Le sujet traité:
    a) vie individuelle.
    b) histoire d’une personnalité.
    3. La situation de l’auteur:
    a) identité de l’auteur, du narrateur et du personnage;
    b) perspective rétrospective du récit.

    Le fil personnel et chronologique ne doit pas être un mode de présentation pour autre chose (œuvre scientifique, philosophique. Tout autobiographe doit se plier aux normes qui règlent ce genre d’écrits littéraires à savoir:
    parvenir à une histoire de sa personnalité, en ordonnant ses souvenirs;
    mettre en place une genèse de sa personnalité depuis l’enfance et l’éducation, respectant l’unité et le sens de sa vie;
    tout produit autobiographique doit répondre aux critères ci-dessus, appartenant aux trois catégories;
    tout déficit ou absence d’un des critères définira un genre voisin, qui n’est pas l’autobiographie.

    L’absence du principe 3 b définira le journal intime.
    L’absence du critère 3 a définira la fiction autobiographique.
    L’absence du principe 3 a présente le roman- mémoire.
    L’absence du critère 2 présente les mémoires.

    - SET ne peut obéir aux critères de la stricte autobiographie, puisqu’il ne comprend pas le principe 2. Ceci qui permet de le classer dans la rubrique de: mémoire, car il s’agit d’une tranche de vie de l’auteure/narrateur personnage qui expose ses mésaventures au Japon au bout d‘une expérience professionnelle.
    - Il ne s’agit pas d’un problème de point de vue dans SET mais d’un problème de proportion entre: matière intime, individuelle et matière historique, collective.
    - Quant aux trois autres écrits de Nothomb, dits autobiographiques, il est souvent question du choix de l’écrivaine et de son pacte autobiographique qui se pose.
    - Les mémoires d’Amélie dans SET, aussi dans BDLF commencent par un pacte d’exposer des circonstances de l’écriture, la réfutation d'objections et de critiques dans l’un et par l’étalement d'intentions, dans l’autre.
    - Tout repose sur ce rite de présentation, ayant une fonction très importante pour l’autobiographe. Elle mise sur la vérité qu’elle entreprend de dévoiler et qui lui est personnelle.

    Quelque soit le contenu de ce projet autobiographique: rappel d’une expérience passagère en guise de mémoires, la présentation d‘un topos d‘une vie depuis l‘enfance jusqu‘à l‘âge adulte sous formes de journal intime, ou autres, l’écrivaine pose sa voix, choisit un ton adéquat et un registre de langue bien approprié pour la circonstance.

    Elle définit son lecteur et le genre de relations qu’elle va entreprendre avec lui. Elle définit par ces actes inclus dans son écriture le type du discours et son rôle assigné. Le discours de l’auteure peut être contaminé par des traits comportementaux allant de l'arrogance à la timidité, du didactisme à la confidence, de la subtilité à la platitude.

    Parler de soi n’est jamais objectif. L’autobiographe s'interroge sur elle-même; elle relève une problématique et tente d’y remédier en la proposant au lecteur sous une forme d‘écrit bien définie. Il est tout à fait normal qu’il ait la présence d’une narratrice explicite. Le récit est mené à la première personne, mais il est plus marquant, plus crédible pour le lecteur.

    L’importance des écrits nothombiens, dits autobiographiques réside dans cette relation constante établie entre le passé du personnage et le présent de la narratrice, mis en scène par l’écriture.

    Pour cela, il est recommandable d’étudier selon Philippe Lejeune, la relation de la narratrice avec le personnage. Le regard d’Amélie, la narratrice adulte porté sur le petit personnage est de:
    - identification et nostalgie => tonalité lyrique (élégiaque) dans MDT, BDLF.
    MDT: «Ce fut alors que je naquis, à l’âge de deux ans et demi, en février 1970, dans les montagnes du Kansai, au village de Shukugawa, sous les yeux de ma grand-mère paternelle, par la grâce du chocolat blanc.»
    BDLF: «Ce serait la dernière année à New York. Plus que douze mois. Déjà ce goût de mort dans la saveur des choses, qui les rendait si sublimes et si déchirantes. Les orchestres de nostalgie future accordaient leurs instruments.» (p. 62)

    - Distanciation, humour, rejet ... => tonalité picaresque dans SET, LSA.
    LSA: «J’ai toujours su que l’âge adulte ne comptait pas: dès la puberté, l’existence n’est plus qu’un épilogue. À Pékin, ma vie était d’une importance capitale. L’humanité avait besoin de moi.» (p. 25)
    SET: «Parmi ces nourritures de fêtes, il a les omophage: des gâteaux de riz dont, auparavant, je raffolais. Certes année- là, pour des raisons onomastiques, je ne pus en avaler. Quand j’approchais de ma bouche un omophage, j’avais la certitude qu’il allait rugir: «Amélie- san!» et éclater d’un rire gras.» (p. 171)

    La relation de la narratrice avec elle-même devant le lecteur, à travers:
    - l’analyse de la composition de son récit, où le lecteur détecte des problèmes de la mémoire: lacunes, désordre => chronologie, vitesse narrative.
    LSA: «Il y a deux ans, les hasard de la diplomatie mirent en présence mon père et le père d’Elena, lors d’une mondanité tokyoïte. Effusion, échange de souvenirs du «bon vieux temps à Pékin.» (p. 123)
    SET: «Ma mémoire commençait à fonctionner comme une chasse d’eau. Je la irais le soir. Une brosse mentale éliminait les dernières traces de souillures.» (p. 151)

    - L’anticipation du regard critique du lecteur, où il prend conscience des problèmes de la sincérité: inavouable et ineffable => sexualité, échec professionnel, déception sentimentale.
    BDLF: «Les mains de la mer écartèrent mes jambes et entrèrent en moi. La douleur fut si intense que la voix me fut rendue. Je hurlais. (…). Au loin, on vit sortir de l’eau quatre Indiens de vingt ans, aux corps minces et violents.(…). La devint moins bien.» (p. 192).

    Le plus grand souci d’Amélie Nothomb dans ces quatre romans demeure celui de tout autobiographe, il s’agit du problème de l’authenticité des récits proposés au lectorat. L’atteinte de cet objectif demeure difficile, pour ne pas dire quasi impossible, car plusieurs obstacles entravent le projet autobiographique, citons à titre d’exemple:
    - les difficultés d’identification du personnage principal et de vérification de certains aveux;
    - la précarité des faits narrés et les limites de la mémoire;
    - l’impact de la transposition stylistique et du choix des mots sur le lecteur.

    Toutefois, il ne faut pas négliger la dimension subjective et l’état d’âme du scripteur qui se renvoie volontairement à son passé:
    1. LSA et les gages de sincérité;
    2. Extraits SET des Confessions;
    3. Nothomb et le mensonge dans MDT;
    4. Le projet de Nothomb dans: BDLF.

    L’autobiographe se sert de l’écriture comme un moyen de déguisement, il est vrai que nul ne peut écrire la vie d’une autre personne car il intériorise des faits et des souvenirs inaccessibles aux autres. Sa véritable vie n’est connue que par lui-même, mais son extériorisation par le biais de l’écriture reste un simple déguisement.

    L’autobiographe fait son apologie, feint des faits, se montre comme il veut être vu, mais nullement comme il est vraiment, chose qui demeure inaccessible et invérifiable. Dans les récits de Nothomb, nous pouvons à la rigueur considérer les faits redondants narrés qui se trouvent dans l’un et dans l’autre écrit comme étant sincères et vrais, mais les transpositions stylistiques et les réticences, aussi le fait d’étouffer des évènements et de faire taire des vérités connues altèrent le récit autobiographique et mettent l’authenticité de tout propos avancés, et la crédibilité de l’auteure en question.

    En racontant ses mésaventures en Chine, au Bengladesh et en Birmanie, la misère en extrême orient et ses souvenirs d’enfance les plus marquants, Amélie Nothomb dégage une grande sincérité. Son viol et son heurt aux hommes dès son bas âge, son incapacité de comprendre les jeunes occidentaux de son âge nous interdisent de la suspecter sur ces détails, racontés crûment.

    Par contre, en ce qui concerne son expérience à Yumimoto, nous ne pouvons que faire confiance à Nothomb lorsqu’elle nous parle de ses chocs reçus, la confrontation d’une société différente, à normes nouvelles. Amélie nous livre dans SET ses pures intentions, ses sentiments les plus sincères. Les aveux les plus difficiles donnent la mesure de la véracité de tout le reste: SET. Les hontes sur la conscience, l’absence de pudeur et l’hypocrisie ne la retiennent point. Amélie Nothomb va si loin dans l'indécence jusqu’à admirer le fait d’être violée par quatre hommes au Bengladesh.

    Ces sentiments, ces changements d’états d’âme vont contribuer à nous persuader en tant que lecteur.
    - L’ouvrage autobiographique doit rétablir l’image de la vraie Amélie Nothomb, momentanément supplantée par l’image monstrueuse d’une femme avide, ayant tout le temps faim. Faire une autobiographie parfaite et strictement objective demeure un projet inaccessible, une utopie tant rêvée et désirée par les penseurs et les écrivains.
    - Nous retenons à ce sujet les propos de Jean-Jacques Rousseau qui s’est révélé incapable d’accomplir cette mission et de conduire l’engagement autobiographique à son terme.

    Pour Rousseau, cette écriture reste difficile quand on vise l’attirance du lecteur par sa propre expérience, et qu’on s’efforce à se séparer de son moi narcissique: «J’écris moins l’histoire de ces événements en eux-mêmes que celle de l’état de mon âme, à mesure qu’ils sont arrivés. Or les âmes ne sont plus ou moins illustres que selon qu'elles ont des sentiments plus ou moins grands et nobles, des idées plus ou moins vives et nombreuses. Les faits ne sont ici que des causes occasionnelles» [7].

    L’autobiographe, tel que le décrit Jean-Jacques Rousseau en brossant ce portrait est contraint de subir un examen de conscience par lequel il doit donner l’exemple parfait d’un formateur ayant une mission didactique.

    Voué à la sincérité et à l’objectivité, l’auteur d’une autobiographie doit s’épargner une réputation mensongère en s’appropriant ses propres vertus et en dénonçant ses véritables vices: «Je serai vrai; je le serai sans réserve; je dirai tout; le bien, le mal, tout enfin. Je remplirai rigoureusement mon titre, et jamais la dévote la plus craintive ne fit un meilleur examen de conscience que celui auquel je me prépare; jamais elle ne déploya plus scrupuleusement à son confesseur tous les replis de son âme que je vais déployer tous ceux de la mienne au public» [8].

    L’autobiographe qu’est Amélie Nothomb dans ses quatre romans se voit obligée d’inventer un langage nouveau pour peindre ses états d’âme, ou du moins tend à personnaliser son écriture pour se créer un propre style et du fait se démarquer de ses autres confrères hommes de lettres.

    La quête d’un nouveau langage devient une nécessité pour tout autobiographe voulant partager son expérience avec autrui. Ce nouveau langage doit se mettre en adéquation avec le contenu d’un projet autobiographique original. Pour cet effet Amélie Nothomb accorde une grande importance au ton, l’appropriation d’effets stylistiques pour peindre la diversité des sentiments souvent contradictoires qui la font agitée. Des réussites dans la vie, des échecs marquants qui imprègnent toute son existence sont exposés dans des détails révoltants (MDT SET), indécents et parfois même ridicules (le viol dans BDLF, l‘épisode du chocolat dans MDT et celui du marathon dans LSA).

    Cette stratégie stylistique très proche de l’autobiographe permet de montrer au lecteur chaque impression ayant imprégné l’âme de Nothomb sur le vif et pour la première fois. Respecter le pacte autobiographique demeure une mission très difficile car les autobiographes peuvent banaliser des évènements graves, dramatiser des situations habituelles routinières. Ils traitent avec imprudence les plus pénibles des aveux. L’écrivain tend à taire des choses, faire surgir d’autres; sciemment ou inconsciemment. L’autobiographe peut toutefois dévier pour ne plus servir son pacte autobiographique en dévoilant ce qui l’intéresse personnellement, dissimulant ce qui dérange ou humilie.

    Le lecteur connaîtra une autre personne à travers l’écriture de cet autobiographe, si différente de l’instance productrice. Le consommateur sera invité de connaître un personnage fabriqué de toute pièce, ayant des traits caractériels différents de ceux de l’auteur, des croyances et des principes construits pour défendre l’image de l’écrivain et sauver sa face négative, voilée avec opacité.

    Amélie Nothomb ne s’attachera point à rendre uniforme son style d’écriture autobiographique et les évènements narrés. Bien au contraire, c’est l’écart creusé entre les deux qui la fera démarquer de ces autres autobiographes.

    Nothomb tend à mélanger le tragique et le ludique situationnels pour créer l’effet de surprise et de choc chez le lecteur. Elle expose les faits, étale les péripéties sans prendre en considération le changement de son humeur, laissant planer son propre point de vue et ses impressions les plus vives.

    Il est vrai qu’en prenant de l’âge, l’auteure gagne de l’expérience dans la vie. En produisant une œuvre autobiographique, elle sera parfois contrainte de donner le point de vue d’adulte sur une ancienne expérience d’enfant (MDT- LSA).

    Ce recul, cette distanciation prise par rapport à l’événement originaire attribue une double possibilité d’expression et de pensées. L’auteure fera part de son changement d’optique, celui du moment passé, de l’événement, l’autre du moment présent, de la description.

    À ce propos Rousseau déclare: «En me livrant à la fois au souvenir de l’impression reçue et au sentiment présent je peindrai doublement l’état de mon âme, savoir au moment où l’événement m'est arrivé et au moment où je l’ai décrit; mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et tantôt gai fera lui-même partie de mon histoire.» [9]

    La production d’une œuvre autobiographique parfaite relève de l’utopique, elle reste toutefois irréalisable. L’auteure doit faire preuve d’honnêteté et de loyauté. Elle se doit dévoiler l’histoire la plus secrète de son âme, faire ses confessions en toute sincérité et avec rigueur. Aussi Nothomb doit s’attendre aux critiques publiques, à la sévérité des jugements prononcés et s’y soumettre.

    Notes

    1] Confessions faites à Philippe Labro lors de l’émission "Ombre et lumière" sur France 3.
    2] Idem.
    3] Ibidem.
    4] Ibidem.
    5] Ibidem.
    6] Philippe Lejeune, L'autobiographie en France (Colin - U2 - 1971): un ouvrage de référence pour l'étude de l'autobiographie, p. 9.
    7] Rousseau, Jean-Jacques, Œuvres complètes I, Les Confessions. Autres textes autobiographiques, édition publiée sous la direction de Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1959, p. 1148-1155.
    8] idem pp. 1148 - 1155.
    9] Rousseau, Jean-Jacques, Les Confessions, ibid., p 1148 – 1155.


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